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Petite histoire du polar au cinéma, épisode 5 – la grande heure du film noir

Par contiguïté avec l’un des sous-genres les plus charismatiques du roman policier - le "hard-boiled", dit roman noir -, le cinéma prend assez tôt exemple sur ce modèle. Le principe, outre une ambiance de nature à métaphoriser une morale tragique, est de porter le regard sur une victime et non pas un personnage passé du côté du crime. Il n’est pas inhabituel par ailleurs d’y suivre un protagoniste dont les valeurs morales s’avèrent chaotiques, qu’il s’agisse de la victime ou du détective désabusé censé la défendre : tel est le cas du Philip Marlowe du Grand Sommeil, du Sam Spade du Faucon maltais ou bien plus tard du Harry Callahan de L’Inspecteur Harry.

Hitchcock, papa du film noir

Si Alfred Hitchcock en 1926 avec The Lodger - l’un des rares à opter dans son premier essai de ce style pour une fin optimiste - constituait l’un des pionniers de cet univers avec Fritz Lang, c’est de nouveau le maître du suspense en 1940 avec Rebecca qui tire le mieux parti du genre, de ses enjeux psychologiques et moraux. Cette brillante adaptation du roman de Daphne du Maurier, avec son manoir fantomatique et ses ombres expressionnistes, explore autant le sentiment d’infériorité dans l’amour ressenti par l’héroïne vis à vis de la défunte Rebecca - thématique qu’Hitchcock renouvellera dans Les Amants du Capricorne (1949) et Sueurs froides (1958) - qu’il s’appuie sur la mort énigmatique en trompe-l’œil de celle-ci. L’effroi, le mystère, les faux-semblants, le sens moral en déroute… l’on se trouve bien ici dans un film noir, bien que la structure tente de brouiller les pistes. Un an plus tard en 1941, le cinéaste britannique approfondit son incursion dans le doute et les relations tumultueuses de couple avec son film Soupçons. Cette transposition du roman "Préméditation", de Francis Isles alias Anthony Berkeley, prend le parti a contrario du livre de faire du mari interprété par Cary Grant un faux coupable. Un homme dont les prétendues intentions meurtrières ne découlent finalement que de la paranoïa de son épouse Lina. Demeure, malgré tout, une vision particulièrement sardonique qui trouvera l’une de ses plus belles illustrations en 1943 avec L’Ombre d’un doute.

Un genre révélateur du marasme économique et social

Cette vision désenchantée, que l’on retrouve alors presque systématiquement dans les films noirs américains, s’explique par la dégradation de la situation économique et sociale outre-Atlantique. Entre 1934 et 1937, la sidérurgie et toute une partie des bassins industriels subissent une crise difficile à surmonter. Cette tendance à la paupérisation va avoir une influence décisive sur la fiction, qui en restera imprégnée pour toujours. Au-delà de la période d’avant-guerre, ces récits de désillusion se multiplient par exemple durant la seconde guerre mondiale, lors du retour des soldats, mais aussi au cours du conflit avec la Corée ou en marge de la guerre froide. La vulgarisation des écrits de Sigmund Freud, également, joue un rôle majeur sur l’émergence d’antihéros tourmentés. Amnésiques, hantés par leur passé, ces derniers sont en quête d’identité. Surfant sur cette dynamique héritée de la contestation politique et de quelques intellectuels, le cinéma - à commencer par Hollywood - va produire des œuvres intemporelles et indispensables telles Le Faucon Maltais (John Huston, 1941), Laura, (Otto Preminger, 1944), Les mains qui tuent, (Robert Siodmak, 1944), L’Impasse tragique (Henry Hathaway, 1946), Le Grand Sommeil (Howard Hawks, 1946) ou encore Quelque part dans la nuit (Joseph L. Mankiewicz, 1946).

La criminalité comme figure de proue

Parmi les sujets les plus récurrents, on trouve la criminalité en tant que composante latente de chaque individu, comme dans les films du cérébral Fritz Lang. C’est le cas dans Le secret derrière la porte en 1948, dans le prodigieux House by the River en 1950 ou encore Règlement de comptes en 1953. Hitchcock, lui aussi, aborde la question dans La Corde en 1948, film expérimental de onze plans évoquant en creux l’homosexualité. En parallèle, d’autres se penchent sur les violences faites aux femmes, comme dans Outrage d’Ida Lupino en 1950. Tandis que la plupart cherchent à immerger des personnages dans des univers impétueux ou à les confronter machiavéliquement au mal, tels Nicholas Ray avec Les amants de la nuit en 1949, Joseph H. Lewis avec Le démon des armes en 1950 ou Hitchcock avec L’Inconnu du Nord Express en 1951.

Quand le film noir devient mental

Entre 1950 et 1958, tandis que de nombreux grands studios s’effondrent peu à peu à Hollywood, le genre connaît aux États-Unis un regain d’inventivité sans précédent. L’abstraction s’immisce alors chez nombre de cinéastes, à l’instar de John Huston avec Quand la ville dort (1950), portrait d’une cité vaporeuse et de ses bandits presque attachants. Même dynamique chez Robert Aldrich en 1955 dans En quatrième vitesse, qui préfigure Lost Highway (1997) ou Mulholland Drive (2001) de David Lynch, ou dans les films de Stanley Kubrick Le baiser du tueur (1955) et L’ultime Razzia (1955). C’est le moment aussi où Charles Laughton signe son unique film, La Nuit du Chasseur, trésor au carrefour du film noir et du conte cauchemardesque où les enfants incarnent à la fois les héros et les victimes. Si l’année 1958 signe la fin des grandes heures du film noir américain avec les splendides Traquenard (Nicholas Ray), La Soif du Mal (Orson Welles) ou Sueurs froides alias Vertigo (Alfred Hitchcock qui ose, chose rare avec le film noir classique, la couleur), une forme de renaissance se produit en 1967 avec Le Point de Non-Retour, premier film très stylisé du papa de Délivrance, John Boorman. Résurrection que tente à son tour Roman Polanski avec le stupéfiant Chinatown en 1974.

Quand le déclin d’Hollywood fait des heureux

À noter qu’au moment où ferment les grands studios américains, les réalisateurs français tirent en matière de films noirs leur épingle du jeu. De 1954 à 1960, sortent ainsi les mémorables Les diaboliques (Henri-Georges Clouzot, 1954), Du Rififi chez les hommes (Jules Dassin, 1955), Bob le flambeur (Jean-Pierre Melville, 1956), Ascenseur pour l’échafaud (Louis Malle, 1957), Le dos au mur (Édouard Molinaro, 1958), Plein soleil (René Clément, 1959), Tirez sur le pianiste (François Truffaut, 1960) ou encore l’OVNI À bout de souffle (Jean-Luc Godard, 1960). La métamorphose s’opère de manière limpide.

Crise morale et appel de la modernité

Mais aux USA le genre du film noir a subi une mutation décisive qu’il va incarner pendant deux décennies jusqu’aux années 1980. Du jour au lendemain, l’inspecteur de police valeureux laisse place à des policiers dont le quotidien tend à banaliser le mal. Pour arriver à ses fins, importent peu désormais la brutalité, le danger ou l’illégalité. C’est là qu’émerge l’une des figures emblématiques du flic sans vergogne : Harry Callahan, interprété d’un réalisateur à l’autre par Clint Eastwood.

De chaque côté de l’Atlantique, le film noir adopte dès lors un ton plus libre, aussi bien visuellement que moralement. Une transformation dont nous vous parlerons lors d’un prochain épisode sur le polar au cinéma, cette fois pour retracer le passage du film noir à la modernité.

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