N°88 - Top des 100 meilleurs films thriller

Sous ses faux airs de banal thriller psychologique, Enemy cache dans sa toile une farce terrifiante. Un cinéma double à l’image de ses personnages.
Avec : Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent, Sarah Gadon
Année : 2014

De quoi ça parle ?

Adam est un professeur effacé qui coule une vie comme les autres avec sa fiancée Mary. Un jour, il découvre son double parfait, un acteur excentrique nommé Anthony, et en ressent un vif trouble. Il se met alors à l’espionner et s’imagine peu à peu des scénarios étranges…

C’est culte parce que…

Avec son scénario épineux, Enemy nous emporte aux frontières du fantastique et à la lisière du crime (que l’on commettrait par frustration ou folie, celui-là). Soit l’on cherche à détricoter l’intrigue pour en comprendre tous les revers, soit l’on traverse juste les dimensions et espaces représentés en tant que projections multiples du personnage central. C’est comme si les interrogations d’Adam à propos de son destin passé, à propos de la vie qu’il pourrait ou aurait pu mener, se matérialisait sous nos yeux.

On voit parfois des araignées à la Louise Bourgeois dans Enemy  : une immense surplombant la ville qui pourrait au gré de sa toile filer le destin d’Adam telles les Parques ; une plus modeste dans l’appartement qui allégorise peut-être son complexe d’œdipe, ou du moins son problème latent de domination refoulée, de peur de l’engagement et du mariage. Autant de pistes pour un dédale (en trompe-l’œil ?) filmé avec soin et virtuosité par Villeneuve. Mention spéciale pour l’esthétique brumeuse jaunâtre et pour Jake Gyllenhaal dans un double emploi schizophrénique.

Ce que le film apporte au thriller

Denis Villeneuve adopte une approche fantasmatique s’inspirant aussi bien de Mulholland Drive (pour le rêve et personnages doubles) que de Rosemary’s Baby (pour l’ouverture en plan d’ensemble sur la ville qui s’apparente à la vision d’une puissance diabolique). Comme le personnage double, l’atmosphère se veut à la fois solaire et morbide (d’un jaune cadavérique), et c’est lorsque la mise en scène nous laisse dans un état de semi-veille que des apparitions effrayantes nous assaillent. Un thriller mental hautement sophistiqué.