Il se confirme que le cinéma de Jordan Peele dérive de plus en plus dangereusement vers la contemplation de sa propre virtuosité, multipliant les références cinématographiques, voire les clins d’œil à la pop culture des années 80 qui raviront une frange de la critique presse, celle des quadras et quinquas, tout en faisant clignoter les signaux d’une symbolique lourdingue. La tendance avait déjà contaminé le très décevant Us, lequel ne s’embarrassait pas de fioritures, convoquait le motif du double, éminemment fantastique, pour une relecture bien maladroite de la lutte des classes.

Nope radicalise le geste artistique, fait feu de tout bois, tente une alliance improbable entre le néo-western et la science-fiction aux fins de vitupérer la société du spectacle, rien que ça. Mais qui trop embrasse mal étreint, dit le proverbe, et Peele, un peu trop grisé par son statut de cinéaste politique, se prend les pieds dans une bouillie narrative sans intérêt, prétexte à quelques scènes hyper-signifiantes et passablement surchargées, surtout faites pour impressionner, d’autant que les budgets de plus en plus confortables alloués à ses longs métrages lui permettent d’exacerber cette fâcheuse inclinaison.

A ce titre, la première séquence, construite sur une sorte de tableau surréaliste (un singe, un plateau de tournage en désordre, un cadavre), annonce le menu comme il profile un fumeux écran de fumée, bientôt dissipé par une séquence explicative, puisque scénaristiquement agencée comme un épisode sériel, l’histoire recolle les morceaux dans une perspective heuristique.

Ce serait déjà bien assez, si ledit segment ne cachait pas son dessein grandiose : configurer le poing contre poing entre un animal hors de contrôle et un jeune gamin effarouché comme un avatar du célébrissime tableau de Michel-Ange, La Création d’Adam. Peele se croit-il lui-même touché par la grâce au point de bazarder son récit sur l’autel d’une intention démiurgique qui lui donne l’idée d’un metteur en scène fictif (un double ?), condamné à la hauteur de ses desseins authentiques : seul sur la colline, victime d’une obsession de l’image, littéralement happé par l’objet de sa dilection. Dans le désert, jamais aussi bien nommé, on n’est pas à l’abri du ridicule : à chacun de faire son marché. Notre panier emportera le souvenir d’un personnage ultime, parangon de cette société du spectacle honnie, à laquelle Peele donne tous les signes formels d’une allégeance : ce symbole, c’est le folliculaire de TMZ, fonçant tête baissée vers le danger pour le frisson d’un scoop, comme on disait autrefois.

Il se murmure que Nope pourrait avoir une suite. En ce qui nous concerne, on s’arrêtera là.