En quatre épisodes, "Le Mobile" explore un fait divers digne des thrillers les plus terrifiants. Un true-crime qui ne prétend pas, comme tant d’autres, comprendre les racines du Mal mais accepte au contraire leur opacité…
Si vous avez eu la chance d’échapper au synopsis proposé par Netflix, vous ignorez sans doute quelle est l’identité du tueur, du moins son essence, et c’est tant mieux. "Le Mobile" retrace un sordide faits divers : un quadruple homicide commis soudainement par une nuit froide de 1986 à Jérusalem, dans le quartier d’Ein Kerem. Toutes les victimes, issues d’une même famille alors endormie, ont été abattues à l’aide d’une arme à feu, un M-16. Problème : le responsable de cette tuerie n’est pas le coupable auquel la morale et la convenance ont le plus tendance à s’attendre. Pire : sa nature met à rude épreuve la logique des enquêteurs, des hommes de loi et des plus grandes sommités de la psychiatrie. De telle sorte qu’une énigme, indémêlable et universel, en découle : comment un tel geste peut-il s’expliquer ? Le principal intéressé parle d’une créature verte venue lui demander de tuer, avant d’avouer qu’il s’agit d’un mensonge. Ce tueur évoque aussi une scène du film "Papillon" de Franklin J. Schaffner, cet instant où un codétenu raconte avoir brusquement massacré les siens. Mais tout cela ne fait qu’épaissir l’ombre…
Quelque chose continue de semer le trouble et le malaise, après la vision de "Le Mobile" – à tel point que l’on s’assure à plusieurs reprises de la véracité du fait divers qu’il retrace. S’agit-il d’une sorte de found footage ou d’une fiction analogue s’évertuant à faire passer l’invraisemblable pour du réel ? Eh bien non. C’est que le quadruple homicide (peut-être perpétré gratuitement) dont il est ici question donne le vertige. Pourquoi ? Simplement parce que dépourvu a priori d’une motivation apparente, il transcende toute logique déterminante. Comme si la mort pouvait brusquement s’abattre au sein d’une famille en l’espace d’une nuit, et ce sans mobile ou motivation. Commis par un être au-dessus de tout soupçon, les quatre meurtres ne trouvent ainsi aucun fondement rationnel et c’est ce qui perturbe. Ce type d’atrocité, qui pulvérise brusquement l’équilibre et la quiétude d’un foyer, aurait probablement intéressé un cinéaste comme Hitchcock, obsédé par les dérèglements de ce genre. Sauf qu’il ne s’agit pas d’un scénario tordu écrit pour le cinéma mais bel et bien d’un fait divers authentique. Pas étonnant, donc, que les documentaristes Tali Shemesh et Asaf Sudry aient choisi cette histoire sordide pour en intensifier l’épouvante et le suspense.
En soi, ce documentaire criminel n’a pourtant rien d’innovant ou de remarquable dans sa forme ou sa structure, toutes les deux quelconques. "Le Mobile" doit même régulièrement en passer par une certaine redondance et une dynamique répétitive pour tenir sur la longueur. Il faut dire que la sombre affaire de massacre sur laquelle le « true crime » se penche manque cruellement de matière tangible. Si les images et archives vidéo sont de la partie, leur rareté s’avère par exemple criante. Certaines scènes des lieux du crime ont même dû être reconstituées (sous un angle horrifique trop tape-à-l’œil, d’ailleurs) afin de donner plus de crédibilité et de consistance à l’ensemble. Ce qui n’empêche pas néanmoins la mini-série de passionner, et ce, surtout grâce au mystère insondable entourant le mobile des crimes.
À chaque nouveau « true crime » la même ambition démesurée : percer le secret du Bien et du Mal, comprendre la fabrication d’un monstre, s’approcher du point de rupture qui fait basculer les destinées des êtres a priori les plus innocents. "Le Mobile" est bien de ceux-là, mais s’en détache modestement par la force des choses, du fait du caractère intrinsèquement indéchiffrable des faits relatés. Policiers, experts en criminologie, avocats, psychiatre, journaliste… se succèdent à l’écran ainsi sans qu’aucun ne soit en mesure d’expliquer quoi que ce soit – hormis peut-être l’avocat de l’accusé Yossi Arnon qui se vante de connaître le fin mot de l’histoire sans pour autant pouvoir légalement le dire ; cela dit, celui-ci semble bien trop arrogant pour être tout à fait honnête. Cette obscurité permanente pourrait se révéler frustrante, comme si toute la série était finalement inutile, mais c’est l’inverse qui se produit. Par l’impuissance de chacun – à noter que tous les intervenants, hypnotiques, pourraient jouer dans un film –, le Mal se dérobe et c’est l’inexplicable qui triomphe. S’agit-il d’une enquête bâclée, d’un crime atroce qui se justifierait (mais peut-on justifier l’injustifiable à savoir la mort ?) si l’on découvrait ce qui a poussé le tueur au crime ? Tout reste impénétrable et on dirait en creux du David Fincher, ou une tragédie grecque à la Médée.
Disponible sur Netflix