En voilà un titre intrigant. Qu’un Sang impur est le nouveau roman de Michaël Mention. Un polar apocalyptique, avec une famille qui tente de survivre alors que la société s’écroule. Interview.
Bepolar : Comment est née l’idée de ce nouveau roman ?
Michaël Mention : Après Les gentils, j’ai fait une pause d’écriture de plus de six mois, c’était la première fois que je prenais autant de temps entre deux bouquins. J’en avais besoin, l’écriture de ce roman m’ayant pas mal chamboulé (Les gentils est mon plus personnel). J’ai profité de cette pause pour me documenter sur des tas de sujets (géopolitique, néo-féminisme, cabinets de conseils et j’en passe) en me disant qu’une idée finirait par jaillir, mais un sujet aussi passionnant soit-il n’inspire pas systématiquement un récit… puis, l’idée m’est venue un matin quand je conduisais ma fille à l’école. J’ai vu deux conducteurs s’engueuler avec menaces etc pour une priorité refusée et j’ai aussitôt pensé au Vivre Ensemble, ce concept qu’on nous vend au quotidien alors que, paradoxalement, notre pays est de plus en plus divisé. Je me suis dit que ça ferait un bon sujet si je l’abordais à travers le genre post-apocalyptique, d’autant qu’il y avait eu ces tirs en 2022 sur la centrale de Zaporijia, l’angoisse causée à travers l’Europe. Un épisode que beaucoup ont déjà oublié, tant nous sommes en permanence submergés d’infos. Et ce matraquage, des médias mainstream à ceux dits « indépendants », est venu se greffer au projet. Le reste a suivi, du huis-clos aux personnages, avec un objectif : écrire un roman à la fois social et horrifique. A mon sens, ce mélange des genres convient parfaitement à cette époque où l’on s’entredévore en permanence.
Bepolar : On est dans un roman apocalyptique, avec un virus qui oblige la présidence de la république à confiner les gens. Qu’est-ce que vous aviez envie de faire ? Et évidemment, quelle place l’épidémie de COVID a eu dans votre écriture ?
Michaël Mention : Ce qui m’a marqué dans la période Covid, c’est surtout son traitement médiatique et politique. Cette petite musique qui recensait les morts tous les soirs, qui fabriquait des « coupables », des « bons et des mauvais citoyens ». C’est notamment cet aspect-là que je voulais aborder dans le roman. Le fait que mes personnages soient à la fois prisonniers de leur immeuble et d’un flux ininterrompu d’informations plus ou moins avérées. Qu’un sang impur est une histoire où le flou domine, où les personnages s’efforcent d’avancer malgré l’inconnu, où leur ignorance quant à cette épidémie engendre une anxiété telle qu’ils en perdent tous repères. Après tout, le roman noir est la littérature des vaincus et des filous.
Bepolar : Tout se déroule dans un immeuble, comme un huis clos. Des gens coincés à l’intérieur d’un même bâtiment, c’était parfait pour un polar ?
Michaël Mention : C’est parfait en fonction du sujet qu’on veut aborder. Le huis-clos doit être adapté au récit sinon le concept est obsolète ou un simple artifice commercial. Certaines histoires se prêtent davantage au huis-clos que d’autres, de même que certains récits se pensent plus à la première personne qu’à la troisième. Pour Qu’un sang impur, le thème du Vivre Ensemble dans un petit immeuble s’est vite imposé : j’y ai vu l’opportunité d’aborder un phénomène d’ampleur mondiale à travers le prisme de l’intime.
Bepolar : Vous aviez envie de gratter sous le vernis social des uns et des autres pour révéler leur animalité ?
Michaël Mention : Oui, ça m’amusait de faire cohabiter des bobos, un droitard, une aigrie semi-complotiste, des musulmans et un couple de retraités dont une vieille dame atteinte de la maladie d’Alzheimer. J’avais là une grande possibilité d’humour noir, de quoi compenser avec la gravité du récit.
Bepolar : Le roman évoque aussi les tensions politiques, les inégalités et la fragilité de notre société. Ce sont des thèmes que vous vouliez aborder dès le début ou se sont-ils imposés au fur et à mesure de l’écriture ?
Michaël Mention : Ces thèmes sont au cœur de mes romans depuis le début. Power parle des militants du quotidien, La voix secrète évoque l’exploitation des enfants, Dehors les chiens traite des conditions de vie des femmes au Far West… quel que soit l’univers abordé, je ne conçois pas d’écrire sans traiter certains sujets comme les inégalités sociales. Prends n’importe lequel de mes bouquins, tu trouveras toujours un passage sur la précarité, le salaire d’un aide-soignant, la corruption de certains élus et autres sujets hélas récurrents dans notre quotidien. C’est comme ça, je ne peux pas m’en empêcher. J’en ai besoin tout en étant conscient que ma démarche est vaine car, malheureusement, on ne prêche qu’aux convaincus. Certains s’en contentent, mais pas moi. Dans le métro, on voit souvent des pubs avec des slogans du genre « Un livre qui fait du bien », mais je préfèrerais voir aussi des affiches « Un livre qui divertit tout en faisant réfléchir ». C’est mon objectif depuis le début et ça le sera jusqu’au dernier. Et si, en plus, je peux faire découvrir un groupe de musique et faire marrer avec un jeu de mots à la con, c’est parfait.
Bepolar : Qu’est-ce que vous aimeriez que les lecteurs et lectrices gardent de ce roman une fois la dernière page tournée ?
Michaël Mention : A la deuxième page, quand Matt sirote sa bière en terrasse, il se dit que la vie est trop courte pour la gâcher en idéologies. Si les lecteurs peuvent garder ça en refermant le bouquin, ça me va. Aujourd’hui, chacun a son point de vue, ses à priori, ses vérités, mais si le monde touche à sa fin, si on doit tous crever, est-ce si important que ça de se dire de gauche ou de droite, pro-ceci ou anti-cela ? Ces clivages sont-ils si fondés que certains le pensent ? Plus j’avance dans le temps, plus je me dis que l’essentiel est ailleurs, du côté de la nature, de la musique, des animaux, de l’enfance et de tout ce qui nous nourrit, dans un rapport simple aux choses sans postures ni conflit inutile. Qu’un sang impur est ma réaction à ce monde qui me fatigue et m’horripile au quotidien. Ça va mieux depuis la parution du bouquin, qui m’a soulagé de pas mal de trucs, mais je sais que le ras-le-bol reviendra, ce qui promet encore pas mal d’histoires à écrire.
Polar ou pas, ce qui fait un bon bouquin, c’est avant tout une écriture
Bepolar : Avez-vous d’autres projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Michaël Mention : Je suis sur un nouveau projet mais je préfère que les lecteurs le découvrent au moment de la parution. Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai trouvé une thématique propice à explorer davantage mon écriture. Ça non plus, je ne peux pas m’en empêcher, j’aime jouer avec le fond et la forme, casser le récit, faire des ruptures de tons… bref, je m’éclate !
Bepolar : Qu’est-ce qui fait un bon polar ?
Michaël Mention : Polar ou pas, ce qui fait un bon bouquin, c’est avant tout une écriture, une certaine manière de raconter les choses, ce que François Guérif appelle « une voix ». Il y a aussi les personnages qui me semblent toujours plus essentiels que l’intrigue car ce sont eux qui la font avec leur sensibilité, leur profondeur. Une intrigue hyper bien ficelée mais avec des personnages creux et racontée à la manière d’une rédaction CM2 ne peut donner qu’un roman bancal, voire insipide. Dans le cas contraire, l’exemple qui me vient est le polar Pike de Benjamin Whitmer paru chez Gallmeister : un truand fatigué qui cherche la rédemption, sa petite-fille esseulée, un flic corrompu… on a déjà lu mille fois ce genre d’intrigue mais l’écriture est si maîtrisée qu’elle renouvelle totalement l’intrigue. Et puis, ce qui caractérise un bon roman, c’est l’absence d’ennui. Si on commence à s’emmerder dès les premières pages, c’est mauvais signe !