- Réalisateurs : Ryan Murphy - Ian Brennan
- Acteurs : Naomi Watts, Mia Farrow, Margo Martindale, Bobby Cannavale
Vous n’avez pas terminé "Dahmer" ? Empressez-vous car la dernière née des séries Ryan Murphy est déjà là. "The Watcher", c’est son nom, épingle la bourgeoisie façon Chabrol et tourmente. Mais l’hyper-fertilité du showrunner américain ne trouve-t-elle pas ses limites ?
Une famille s’installe dans une vaste et luxueuse demeure, rêve de perfection entre campagne et ville. Très vite, ses membres reçoivent des lettres de menace terrifiantes d’un harceleur signant du pseudonyme "The Watcher".
Malgré la cadence infernale de la fabrique Ryan Murphy, qui vient de sortir dernièrement, une fois de plus sur Netflix, "Dahmer" côté série ou encore "Le Téléphone de M. Harrigan" côté film, force est de constater que le showrunner continue d’étonner ou presque - n’en déplaise à sa prodigalité vertigineuse. Dernière arrivée au sein de l’empire de ce producteur, scénariste et metteur en scène insatiable, la série "The Watcher" ne vise pas l’originalité mais le dérèglement. La recette de Ryan Murphy reste en cela habituelle par son classicisme teinté de dérision : l’idée consiste toujours à explorer des sentiers battus et rebattus pour mieux y diffuser un note d’humour, de causticité et de mauvais goût assumé. Dans le cas de "The Watcher", le créateur adopte comme terrain de jeu l’espace de la banlieue pavillonnaire – ici résolument cossue. Un univers auquel Ryan Murphy n’est pas tout à fait étranger, ne serait-ce qu’à travers la première saison de sa série "American Horror Story". D’ailleurs, la comparaison entre les deux séries apparaît pertinente même en matière de fait divers : les propriétaires de la véritable « Murder House » d’American Horror Story ont peu à peu vu leur bien faire l’objet d’un assidu pèlerinage macabre de fans. De quoi provoquer leur plus grand désespoir. Or, le point de départ de "The Watcher" s’avère analogue : les nouveaux propriétaires d’une vaste demeure au passé mystérieux voient s’introduire chez eux des silhouettes indistinctes et inquiétantes. Coïncidence ou non, l’univers pavillonnaire reste donc une obsession pour Ryan Murphy, que le showrunner entend bien conjurer.
L’entrée en matière de "The Watcher" ressemble à celle du film "Funny Games" de Michael Haneke, et cela ne relève pas du hasard. On retrouve la même construction, avec le plan d’ensemble en plongée sur la voiture de la famille qui traverse le New Jersey pour rejoindre la demeure idéale, avec le même genre de passants immaculés et la même sorte de musique en contrepoint. Conscient sans doute de cette légère (mais délibérée) contiguïté entre les deux œuvres, Ryan Murphy fait appel à la même actrice principale que pour le remake "Funny Games U.S." également signé Haneke : Naomi Watts. Mais si le film de l’Autrichien et la série de l’Américain partagent un même désir sarcastique de souligner, volontiers cruellement, le malaise de la violence ordinaire, leurs similitudes s’en tiennent à l’ouverture de la série. Car beaucoup plus mesuré par la suite, "The Watcher" regagne le climat plus commode du divertissement, sans conformisme mais sans grain de folie non plus. La promiscuité avec les voisins étouffants, dans la veine de "Mother !" (Aronofsky, 2017), ou encore le revers potentiellement satanique, renvoient au célébrissime "Rosemary’s Baby" de Roman Polanski (1968) – avec le luxe d’apparitions diverses de Mia Farrow. Quant à la sublimation du quartier et de la maison opulente, faussement idéale et non sans un double-fond évidemment pervers, elle flirte notamment avec la série "Desperate Housewives". Tout cela pour installer minutieusement "The Watcher" dans le sillage du suspense et de l’épouvante.
Fort de ce mélange bariolé de références pour mieux semer le doute et désorienter (ou pas) le spectateur, Ryan Murphy et sa bande distillent le mystère. Cela tombe bien puisque "The Watcher" s’apparente très vite à un whodunit, où chaque épisode explore avec largesse la culpabilité potentielle d’un protagoniste. De quoi répondre à la question a priori essentielle : qui des uns et des autres harcèle la famille Brannock, la tourmente sous le poids de missives menaçantes ou pénètre inlassablement dans sa propriété ? Bien sûr, comme chez Hitchcock, cette réponse tient en réalité avant tout du MacGuffin. Aussi, peu importe au fond le coupable, étant donné que "The Watcher" s’applique principalement à décortiquer un microcosme avec mordant : celui de l’enfer pavillonnaire, cet espace horizontal où chacun prétend vivre en liberté mais où les habitants s’observent et se comparent en voyeurs. Pensant briser les chaînes qui la relient à New York, son stress et son vacarme incessants, la famille Brannock fait l’expérience d’un voisinage plus ambigu et retors. Derrière les apparences, des rancœurs déjà sourdent de toutes parts. Le paradis promis se transforme en maison hantée, Ryan Murphy oblige. Tandis que le couple Brannock se délite un peu plus chaque jour, forcé d’affronter des contradictions jusqu’alors opacifiées par le tumulte new-yorkais. Dès lors, la tension du thriller se dilue également dans le drame familial, avec en creux les désillusions de la famille américaine modèle.
Mais là où "The Watcher", outre l’efficacité de son suspense paranoïaque, s’en tire avec brio, c’est dans le tableau roublard qu’il esquisse des classes sociales. Alors que la série fait d’abord mine de s’en prendre exclusivement à la bourgeoisie, avec par exemple le motif du passe-plat pour allégoriser la tension sociale. Symbole par excellence de la domination ou de l’assujettissement (être en haut, ou en bas), le passe-plat revêt en effet dans "The Watcher" une dimension plus mystico-horrifique, promesse de l’irruption de l’autre et de la rencontre houleuse entre les classes. Et pour autant, la série n’emprunte pas uniquement la voie chabrolienne attendue. Certes, Ryan Murphy met en évidence avec jubilation tous les lieux communs de la bourgeoisie, à commencer par un racisme latent ou une misanthropie dissimulée derrière un sourire éclatant. Mais toutes les classes et tous les êtres (ou presque) dans "The Watcher" en prennent pour leur grade. Père, mère, enfants, artisans, business woman, voisins, policiers, politiques… tous se retrouvent in fine placés dos à dos dans ce qui finit par davantage ressembler à une farce qu’à un suspense corrosif. Si le décor, le propos et la forme sont plus ou moins au rendez-vous dans "The Watcher", une certaine vacuité finit par affleurer. L’on se dit alors que le stakhanovisme de Ryan Murphy trouve tout de même ses limites.
Inspirée de faits réels, la série "The Watcher" est disponible sur Netflix depuis le 13 octobre 2022.