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Small Axe, le chef d’œuvre en 5 actes de Steve McQueen

Souvent présenté (à tort) comme une mini-série, "Small Axe" relève davantage de l’anthologie filmique que de la logique sérielle. Ses 5 jalons, scénaristiquement indépendants, ont d’ailleurs le rythme et le souci du détail du cinéma – du grand. Pas un hasard : le réalisateur britannique Steve McQueen (l’auteur de "Twelve Years a Slave", "Shame", "Hunger" - à ne pas confondre avec l’acteur homonyme), après avoir envisagé un temps le découpage sériel, s’est retranché sur le cinéma afin de mieux concrétiser ses ambitions. En ressort donc une collection de 5 films géniaux (baptisés "Mangrove", "Lovers Rock", "Red, White and Blue", "Alex Wheatle" et "Education") centrés sur le destin d’une génération d’immigrés : la communauté antillaise de Londres, des années 1960 aux années 1980. Tous réalisés initialement pour la chaîne BBC et sélectionnés pour partie à Cannes 2020 ("Mangrove" et "Lovers Rock"), les longs-métrages (du polar au drame en passant par le thriller) figurent au catalogue de SALTO – l’une des rares exclusivités à justifier l’abonnement à la plateforme de VOD.

L’on pourrait résumer les cinq films composant "Small Axe" par leur propos politique, social et et historique : celui reposant sur une même volonté de retracer et de comprendre jusqu’à quel point la communauté afro-caribéenne de Londres (et par extension d’Angleterre) fit bien longtemps l’objet d’une discrimination normalisée, institutionnalisée et d’attaques sciemment mises en œuvre et favorisées par les systèmes politiques conservateurs en place. Forces de l’ordre, justice, système éducatif… le pouvoir tout comme les citoyens moyens dans "Small Axe" intériorisent une dynamique ségrégationniste. Si bien que le citoyen noir ne dispose d’aucune latitude pour espérer échapper à un apartheid qui ne dit pas son nom. Qu’il soit question de l’assaut perpétuel de policiers racistes ne tolérant pas la libre-entreprise des minorités dans "Mangrove", de la tension raciale poussant au repli communautariste dans "Lovers Rock" (sur le mode du teen-movie paranoïaque), ou encore du rêve d’égalité inaccessible de Leroy Logan, policier noir, dans "Red, White and Blue", une entrave inextricable pèse comme un couvercle par-dessus le destin des protagonistes. Steve McQueen pourrait se contenter de ne dresser qu’un tableau simili-documentaire de ces décennies d’injustice refoulées. Mais le metteur en scène, tout en esquissant ses intrigues avec un réalisme inouï, procède autrement, en se réappropriant les codes de la tragédie, du thriller et du film noir.

De fait, "Small Axe" transcende sa dimension politique en proposant une expérience de cinéma à la fois épique et exigeante. Il serait trompeur de comparer sa veine journalistique à celle du David Simon de "The Wire" (HBO, 2002-2008) ou encore "Treme" (HBO, 2010-2013), tant sa stylisation formelle s’impose. Chez McQueen, aucun cadrage ni aucun symbole ne tiennent du hasard. À l’instar d’un film noir de l’âge d’or d’Hollywood, des éléments de décor viennent par exemple subrepticement se sur-imprimer au héros pour signifier qu’il se trouve déjà emprisonné par le système – il peut s’agir de la lumière recouvrant inopinément de barreaux le personnage. Ou alors un objet filmé d’une manière singulière vient nous indiquer par déduction ce que ressent le protagoniste discriminé : c’est notamment ce superbe très gros plan à la Hitchcock où l’on aperçoit une lame de couteau arasant une cuillère de lait en poudre, signe latent que notre héros marginalisé et ostracisé commence à ressentir une haine, du moins un ressentiment, à l’égard de ses bourreaux blancs impitoyables.

La colorimétrie, la composition et la justesse des images tournées par Steve McQueen impressionnent. Et si ce n’était pour son brio technique, c’est aussi beaucoup pour sa tension et son caractère oppressant que brille "Small Axe". Comme dans "Twelve Years a Slave", le cinéaste n’épargne pas son spectateur, quitte à le placer dans une situation aussi incertaine que celle vécue par les malheureux héros. Un tel procédé vise l’altérité : en s’identifiant au personnage discriminé, le spectateur peut comprendre ou prendre conscience d’un phénomène xénophobe larvé, qui se poursuit de façon latente aujourd’hui. La question n’est pas de moraliser ni d’enseigner à proprement parler quelque chose, mais de regarder les démons du passé par le truchement du cinéma. Le constat de Steve McQueen, aussi sombre soit-il, laisse entrevoir de l’espoir derrière la fatalité – comme si le film noir laissait in extremis une dernière chance à ses héros maudits. C’est en tout cas ce que laissent imaginer les films "Alex Wheatle" – descendre jusqu’aux Enfers pour mieux s’en échapper – et "Education" – horizons de lendemains meilleurs.

De toutes les nombreuses séquences incontournables de "Small Axe", si la plus horripilante et jubilatoire reste celle du tribunal dans "Mangrove", la plus révoltante celle notamment du vestiaire dans "Red, White and Blue", la plus émouvante celle de la rencontre du rastafari et d’Alex dans la cellule dans "Alex Wheatle", la plus belle de toutes reste sans doute la scène en suspension dans "Lovers Rock" – sorte de transe cathartique. Alors que le spectateur s’attend tout du long à ce que les personnages finissent meurtris physiquement par une présence obscure ou en viennent à s’entretuer, la musique les rassemble dans un ballet frénétique et scotchant. La caméra de McQueen se fond à travers leurs mouvements et entrelacements, non loin de Kubrick. C’est angoissant et brillant.

À noter : "Small Axe" tient son titre de la chanson éponyme de Bob Marley & The Wailers : « So if you are the big tree, we are the small axe » (African Herbsman, 1973).

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