Attention, nouveau polar sous tension ! En ce début d’année, Chrystel Duchamp nous a proposé un roman tendu avec une jeune femme contrainte de revenir dans la maison de son enfance... Et l’accueil ne sera pas des plus joyeux...
Bepolar : Comment est née l’idée de ce roman ?
Chrystel Duchamp : Ce roman est né dans un contexte personnel particulier. Je traversais une période de ma vie où je recherchais la solitude. Ce besoin s’est exprimé jusque dans l’écriture, ce qui m’a conduit à imaginer un récit à huis-clos, avec un nombre réduit de personnages. Pendant presque deux ans, je me suis enfermée dans la maison de Où tu seras reine, avec Maud, seule protagoniste du roman. Le sujet de la relation fusionnelle mère-fille s’est imposé à moi alors que je menais une réflexion sur mon propre vécu. J’ai grandi dans une famille aimante, avec une figure maternelle hyper protectrice. Je me suis demandé jusqu’à quel point, en surprotégeant un enfant, une mère pouvait l’abîmer. Ou comment cet amour, malgré toute la pureté qu’il induit, peut causer des dégâts.
Bepolar : On suit Maud, qui a 25 ans et qui doit se rendre dans la maison de son enfance. Et il y a de sombres secrets. Qui est-elle au début du roman ?
Chrystel Duchamp : Maud souffre d’une maladie mentale. Elle cherche des réponses sur les origines de cette pathologie, tout en essayant de comprendre pourquoi le lien qui l’unit à sa mère est si fort. Pour que l’expérience à ses côtés soit totalement immersive, il fallait que les lecteurs infiltrent la psyché de Maud et qu’ils ressentent les choses comme elle les ressent. Je voulais qu’ils éprouvent de l’empathie pour cette jeune femme, mais aussi de la méfiance. Qu’elle soit psychologiquement instable lui confère un statut de narrateur non fiable. Un tel personnage ne peut que déstabiliser les lecteurs qui se questionnent sans cesse sur la frontière entre rêve et réalité.
Bepolar : Tout tourne autour d’une maison, un peu comme dans le Sang des Belasko. Qu’est-ce qui vous attire dans les bâtisses ? Ce sont des "personnages" idéaux pour des thrillers ?
Chrystel Duchamp : Les lieux sont, pour moi, une source intarissable d’inspiration. J’aime à croire qu’ils ont une âme, qu’ils sont les témoins de ce que donnent à voir – ou pas – les humains. Dans Où tu seras reine, la maison d’enfance de Maud est chargé de souvenirs, mais pas que. Sa mère est atteinte du syndrome de Diogène, pathologie qui conduit ceux qui en souffrent à accumuler de façon irraisonnée. La maison déborde autant de détritus, d’objets que de secrets. Imaginer un tel lieu servait la notion de chasse au trésor macabre. En fouillant chaque pièce, Maud découvre des indices qui l’aident à mieux se connaître. La maison est ici une métaphore du cerveau : un endroit qu’on explore au cours d’une thérapie pour mieux se comprendre et faire la lumière sur son passé.
Bepolar : J’ai un peu la même question avec la famille. C’est un endroit intéressant pour une autrice de polar ? Pour quelles raisons ?
Chrystel Duchamp : Ah la famille ! Vaste sujet ! Anne-Laure, libraire, m’a récemment fait remarquer que cette notion était omniprésente dans mes romans : la famille « professionnelle » dans L’art du meurtre, la famille « sectaire » dans Délivre-nous du mal, la famille de sang dans Le sang des Belasko… Les relations toxiques, les dysfonctionnements… des sujets aussi riches que sombres à développer dans un polar ! J’adore décortiquer les relations humaines, explorer les origines des troubles dont nous souffrons. La psychologie nous apprend que beaucoup de nos failles d’adulte reposent sur des fissures de l’enfance.
Bepolar : C’est une histoire de filiation maternelle. Maud se met en action après un message de sa mère. Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette relation ?
Chrystel Duchamp : Ce sujet s’est imposé à moi alors que je menais une réflexion sur mon propre vécu, et aussi parce que je souhaitais me pencher sur les frontières de l’amour. Dans mes romans, j’aime questionner la notion de limite. Avec Où tu seras reine, je me suis interrogée sur les limites de l’amour maternel : « Jusqu’où peut aller une mère pour protéger son enfant ; qu’est-ce qu’un enfant est prêt à accepter sous couvert de l’amour de ses parents ? ».
Bepolar : Maud est schizophrène. Vous souhaitiez aborder ce genre de maladie ?
Chrystel Duchamp : J’ai pris du temps pour arrêter mon choix quant à la pathologie de Maud. Il fallait qu’elle soit complexe tout en servant au mieux le récit. J’avais à cœur de faire la lumière sur la schizophrénie qui pâtit de nombreux clichés. Pour que mon personnage soit le plus crédible possible, j’ai lu des témoignages de patients, j’ai écouté beaucoup de podcasts. Notre jugement à l’égard de cette maladie est sévère. Comme je l’écris dans le roman, les personnes atteintes de schizophrénie sont bien plus souvent victimes que coupables de violence : soit du regard des autres, soit d’elles-même.
Bepolar : Parcourir sa maison pièce par pièce est une sorte de thérapie terrifiante pour retrouver l’origine de ses maux. Vous l’avez conçu comme ça dès le départ ?
Chrystel Duchamp : Dès l’élaboration de mon plan, je savais que la maison rythmerait le récit. Voilà pourquoi j’ai découpé le roman en plusieurs grandes parties qui correspondent chacune à une pièce de la maison : la cuisine, le salon, la salle à manger, les chambres… Maud progresse sur les lieux de son enfance comme si elle évoluait dans un escape game. Dans chaque pièce, elle va trouver des informations qui vont l’aider à mieux se comprendre, à mieux comprendre sa mère et le lien qui les unit. Elle va aussi lever le voile sur de nombreux secrets de famille. Et comme dans toute chasse au trésor qui se respecte, des coffres seront à ouvrir ! Mais ceux que je mets en scène renferment des trésors très macabres…
Bepolar : Qu’est-ce que vous aimeriez que les lecteurs et lectrices retiennent une fois la dernière page tournée ?
Chrystel Duchamp : Où tu seras reine est un roman immersif difficile, extrême parfois. L’expérience de lecture peut être désagréable, épuisante, mais elle n’en est que plus efficace. Par ce procédé, j’espère que les lecteurs se souviennent de Maud longtemps après avoir refermé le livre. Que cette histoire les hante.
Un bon polar c’est avant tout du rythme
Bepolar : Quels sont désormais vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Chrystel Duchamp : Je réfléchis sereinement à mon prochain opus. Où tu seras reine aura marqué un tournant certain dans mon style littéraire, mais aussi dans les sujets que j’ai envie d’aborder, la façon dont j’ai envie de les aborder. Pour mon 6e roman, j’aimerais garder cette dualité violence/poésie et l’aspect introspectif fort. J’essaie de ne pas céder à la pression. Comme pour chaque roman, je laisse le temps à mes idées de mûrir. Bien au chaud dans mon cerveau. Et dans mon cœur.
Bepolar : Qu’est-ce qui fait un bon polar ?
Chrystel Duchamp : Un bon polar c’est avant tout du rythme. Si le lecteur est happé par le récit au point de ne pas pouvoir arrêter sa lecture, alors le contrat est rempli en grande partie. On ajoute à cela de nombreux rebondissements et une fin surprenante. La cerise sur le gâteau ? Que le lecteur referme le livre en se questionnant sur la moralité de l’histoire. Qu’il poursuive sa réflexion au-delà de la lecture est très important pour moi.