
- Auteur : Sandrine Cohen
- Genre : Policier / Drame, Famille
- Editeur : Belfond
- Collection : Belfond noir
- Date de sortie : 6 février 2025
- EAN : 9782714404671

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Résumé :
Découverte avec Rosine, une criminelle ordinaire, lauréat du Grand Prix de littérature policière 2021, Sandrine Cohen revient avec une enquête pleine de rage, pour aborder la violence sous son angle le plus intime et le plus pervers.
À dix-sept ans, Antoine Durand est un lycéen brillant, sans histoires, qui grandit dans la banlieue huppée de Meudon. Jusqu’à ce dimanche de février où, dans la cuisine, Antoine pointe un fusil de chasse sur son père. Pour le braver, le faire rire, mais l’arme est chargée et le coup part. Xavier Durand meurt sur le coup.
Enquêtrice de personnalité, Clélia Rivoire se charge du dossier. Son travail : retracer la trajectoire de vie du prévenu, comprendre les raisons de son passage à l’acte et apporter des pièces au dossier en vue du procès. Mais le garçon est un roc. Aucune émotion, un discours maîtrisé et une fine connaissance du système judiciaire français. Que cache son arrogance ? Pourquoi refuse-t-il la main tendue de Clélia ?
Aude Bouquine 13 mars 2025
Antoine, un fils aimant - Sandrine Cohen
Il est des récits qui avancent masqués, qui nous font douter et questionner ce que l’on croit comprendre. « Antoine, un fils aimant » de Sandrine Cohen appartient à ceux-là. Ce roman craquelle le vernis lisse du réel, pour nous obliger à scruter chaque fissure et y traquer une vérité fuyante.
L’histoire s’ouvre un appel d’urgence : un adolescent affirme avoir tué son père. Accident ? Meurtre ? L’événement est si abrupt, tellement inconcevable, qu’il en devient douteux. Mais ce n’est pas tant la résolution de cet acte insensé qui intéresse Sandrine Cohen que l’épaisseur psychologique des personnages, l’ambiguïté des émotions qui se blottissent dans l’espace subtil qui existe entre l’amour et la haine.
L’enquêtrice Clélia, personnage envoûtant, malmenée par son propre passé, entre dans ce drame familial comme on franchit la ligne rouge d’une intimité qui n’est pas la sienne. Tout semble en place, trop en place. Une cuisine impeccable, une table dressée avec minutie, un adolescent qui exprime les faits sans hésitation, sûr de lui. Certaines choses clochent et résistent à l’évidence, des ressentis qui taraudent, un sixième sens qui ragaillardit l’envie de chercher les failles. À travers Clélia, Sandrine Cohen tisse l’intrigue de « Antoine, un fils aimant » avec la précision d’une archéologue : elle analyse les paroles, ausculte les silences pour mieux mettre en lumière des failles et creuse dans les archives du passé.
Antoine, ce fils aimant, est-il un garçon paumé ou un virtuose dans l’art de la dissimulation ? Son regard vacille entre candeur et opacité, entre victime et stratège. Il y a dans son attitude, dans ses mots comme dans ses silences, quelque chose d’insaisissable qui nous agrippe. Comme Clélia, il nous faut comprendre. Mais le fil d’Ariane du roman est très emmêlé et l’écheveau ne se déroule pas aisément. Notre propre besoin de tout éclaircir rapidement est mis à mal, comme celui de mettre des étiquettes sur les actes. La réalité est infiniment plus trouble que de simplement distinguer le bien du mal. Ce n’est pas seulement le crime qui trouble, c’est l’agencement des choses autour de lui.
À mon sens, la puissance de « Antoine, un fils aimant » réside dans le jeu des apparences. Il y a toujours un détail qui est une invitation à regarder plus loin et à se méfier de ce qui semble trop évident : la scène du crime, l’appel paniqué à la police, la posture du garçon : tout devient une question de perception. le diable se niche dans les détails et Clélia le sait bien. Grâce à une écriture précise et acérée, Sandrine Cohen nous pousse à remettre en question nos certitudes.
Dans « Antoine, un fils aimant », la famille devient un huis clos où chacun joue son rôle, où l’amour et la violence se frôlent dans un équilibre précaire.
« Antoine, un fils aimant » déstabilise. le propre de ce roman est d’accepter que la vérité soit mouvante, et que l’amour puisse être teinté d’une certaine opacité. C’est un roman qui, sous couvert d’une intrigue, dissèque avec finesse les liens familiaux, la transmission du pouvoir et de la violence. Quelle est l’origine de la violence ? Au-delà du drame, l’autrice interroge les dynamiques familiales, la transmission et l’emprise et explore les violences familiales sans rester à la surface des choses. Sandrine Cohen démontre combien celles-ci s’inscrivent dans un cycle de répétition, en allant fouiller à la fois dans le passé de Xavier et de Cybèle, mais aussi dans le présent des enfants. Lorsque l’on est issu d’une éducation brutale, la reproduction de ce schéma est-elle inscrite dans les gènes, comme une pulsion innée ?
C’est sans doute l’une des questions qui m’a le plus taraudée dans ma vie d’adulte. Quand la réponse à toute frustration est une crise de colère, que le ton monte toujours jusqu’au hurlement et une envie de frapper son interlocuteur, il y a péril en la demeure. L’enfant qui a été élevé dans cette atmosphère de peur, dans les mêmes phrases admonestées quotidiennement, celui qui a été un « funambule de l’enfance », a de grandes chances de reproduire ce climat avec ses proches, une fois adulte. C’est la double peine. Dans « Antoine, un fils aimant », la question est de savoir si Antoine est un produit de cette violence intergénérationnelle, et si cette situation est une fatalité.
Enfin, le roman interroge la capacité de la justice à comprendre la complexité des drames familiaux. Entre l’efficacité brute des procédures policières et la quête plus subtile de la vérité menée par Clélia, le livre montre comment les institutions, bien que nécessaires, peinent parfois à saisir la profondeur des mécanismes à l’oeuvre derrière un acte criminel. Antoine est-il jugé pour ce qu’il a fait, ou pour ce qu’il est supposé être ? La justice cherche-t-elle à punir ou à comprendre ? Ces questions résonnent tout au long du roman, offrant une réflexion pertinente sur notre rapport à la culpabilité et à la responsabilité.
Pour terminer, si Antoine est l’un des personnages centraux, la question de la place des femmes dans un système patriarcal est omniprésente. Cybèle, épouse et mère, doit composer avec un mari dont l’autorité ne souffre aucune contestation. Son parcours illustre la difficulté et la peur à se soustraire des schémas oppressifs, la culpabilité qui pèse sur celles qui subissent sans oser agir. Clélia Rivoire représente une autre forme de féminité, combative et indépendante, mais également marquée par un passé difficile qui l’a rendue hypersensible aux dynamiques de domination et à leur détection.
Énormément de sujets sont traités dans « Antoine, un fils aimant », qui vont bien au-delà d’un roman noir. Vous entrez dans une exploration psychologique de la violence, de ses racines dans le passé, et de ses ramifications dans le présent. Les enjeux sociaux et judiciaires sont passés au peigne fin et mettent en lumière les limites de la justice traditionnelle. le tout est servi par un style incisif et immersif, où l’écriture alterne entre nervosité et introspection. Des questions morales et philosophiques ponctuent la lecture et laissent le lecteur en proie à un dilemme émotionnel ou à ses propres démons.
« Antoine, un fils aimant » est une oeuvre troublante…