Bepolar : Comment est née l’idée de ce nouveau roman ?  
Pascal Dessaint :Je cherche toujours une manière poétique pour essayer de raconter un trouble ou une angoisse de notre époque. Depuis un moment, je voulais parler de l’éco-anxiété qui aujourd’hui, qu’on en ait conscience ou pas, atteint la majorité d’entre nous. Comment l’évoquer de la manière la plus subtile possible ? Ainsi sont nés les personnages, et ensuite l’histoire… La Femme à son balcon se soigne par de petites actions écocitoyennes qui peuvent paraître dérisoires, mais qui ont du sens. L’Homme à la craie a le besoin d’instruire, pour mieux comprendre la nature et la respecter. Lucas, lui, a trouvé une béquille dans Buffon, et dans la girafe, qui est comme un rêve.
 
Bepolar : Vous juxtaposez les personnages, un chauffeur routier, un agent de surveillance, une écologiste... Qu’aviez-vous envie de faire en procédant à ce chassé-croisé de personnages ?  
Pascal Dessaint : J’aime procéder ainsi. On parle de roman choral, ou polyphonique… Il s’agit de diversifier les points de vue sur une même situation, un même drame… C’est très stimulant au niveau narratif. Tous mes personnages sont écrits à la première personne du singulier. Je les incarne. C’est comme si à chaque chapitre je changeais de peau. Oui, c’est excitant ! Ça me semble enrichir sans cesse la narration. L’ambiance, la rythmique changent d’un personnage à l’autre. L’écriture varie aussi… J’ai souvent procédé ainsi depuis BOUCHE D’OMBRE, presque toujours, et je peux citer aussi MOURIR N’EST PEUT-ÊTRE PAS LA PIRE DES CHOSES, LOIN DES HUMAINS, LE CHEMIN S’ARRÊTERA LÀ ou CRUELLES NATURES, pour les plus réussis.

Bepolar : Quels liens d’ailleurs avez-vous de manière générale avec vos héros et héroïnes ? On sent de la tendresse pour eux sous votre plume ?  
Pascal Dessaint : L’écriture d’un roman est parfois longue. Je ne voudrais pas vivre avec des personnages que je n’aime pas, bien que leur conduite soit parfois très contestable, voire néfaste. Je mets beaucoup de moi dans chacun, dans chacune, à plus forte raison parce que je les écris à la première personne. J’échappe ainsi à une forme de manichéisme qui existe dans un certain polar, et que je trouve désolant. D’où sans doute cette impression.
 
Bepolar : Votre intrigue se déroule à Toulouse, une nouvelle fois. Quels liens avez-vous avec cette ville ?
Pascal Dessaint : Toulouse est ma ville d’adoption, et je m’y sens toujours aussi bien, même si elle n’évolue pas toujours de la meilleure des façons. J’essaie d’en être un citoyen responsable, donc agissant. Toulouse est le cadre de 11 romans et de nombreuses nouvelles. C’est dire mon amour pour elle ! Je l’avais délaissée quelques années pour écrire des histoires inspirées de mon Nord natal, et je suis content d’y revenir avec L’ENVERS DE LA GIRAFE.

Bepolar : Est-ce que le roman pourrait se dérouler ailleurs ?  
Pascal Dessaint : À la condition d’une avenue plantée de platanes vénérables et, tout au bout, d’un pont ferroviaire… Dans certains romans, je ne nomme pas Toulouse, pourtant c’est bien Toulouse, et il arrive que des lecteurs pensent que ça se passe ailleurs. Ça me plaît. Cela veut dire que mes histoires revêtent un caractère universel. Le décor est important, mais plus importants encore sont les sentiments.
 
Bepolar : Une des critiques sur internet notait que vous jouez avec "l’opposition entre le sol et l’espace (balcon, toit, arbres, oiseaux...)". Est-ce que c’est conscient et pour quelle raison ?
Pascal Dessaint : Oui bien sûr. Dès que j’ai choisi mon décor, une avenue tout près de chez moi que j’ai rebaptisée, j’ai décidé de l’animer comme le plateau d’un théâtre, où se jouerait un drame, avec la plupart de mes personnages en spectateurs, juste sous les lecteurs… Que le spectacle commence !
 

une plus belle humanité est possible, malgré tout…

Bepolar :  Il y a aussi le rapport à la nature qui est interrogé dans votre livre. Vous vouliez nous poser la question à nous lecteurs ?  
Pascal Dessaint : La nature est au cœur de mes livres depuis plus de vingt ans. Je ne cesse de me désoler du mal que notre espèce lui fait, à croire que nous n’en ferions pas partie. Je continue à provoquer à la beauté, d’où peut naître le respect. C’est de plus en plus difficile dans notre monde si matérialiste… Si par mes livres pouvait parfois germer l’envie de protéger ce qu’il reste à protéger, je n’aurais pas écrit en vain… C’est bien quand la littérature sert un peu…
 
Bepolar : Qu’est-ce que vous aimeriez que les lecteurs et lectrices retiennent une fois la dernière page tournée ?
Pascal Dessaint : Qu’une plus belle humanité est possible, malgré tout…
 
Bepolar : Sur quoi travaillez-vous ? Quels sont vos projets ?
Pascal Dessaint : Il y a un roman prêt. Il clôt mon cycle consacré au XIXème siècle. Après UN COLOSSE, qui racontait le destin malheureux d’un paysan, et 1886, L’AFFAIRE JULES WATRIN, sur la terrible condition des mineurs de Decazeville, je me suis intéressé à un haut fonctionnaire de la IIIème république, dont le meurtre n’a jamais été résolu, un « cold case » de 140 ans… Un autre roman est en bonne voie, dont je ne dirai rien !