- Réalisateur : Emerald Fennell
- Acteurs : Carey Mulligan, Connie Britton, Alison Brie, Bo Burnham
N’en déplaise à ses couleurs enchanteresses et sa tonalité sucrée, cette satire féministe cache par-dessous sa candeur une réelle amertume, voire plus. Ou quand le thriller et le film noir se dissimulent derrière la comédie…
À 30 ans, Cassandra Thomas habite toujours chez ses parents et se contente d’un petit boulot dans un café de quartier. Il y a sept ans, cette jeune femme prometteuse (tout est dans le titre) se destinait pourtant à un brillant avenir. Mais le viol et le suicide de sa meilleure amie en décidèrent autrement. Bouleversée à jamais par cette tragédie, Cassie agit chaque nuit dans l’ombre en justicière pour tenter d’éclairer les consciences et de venger le sort de la défunte.
À première vue, la fantaisie très pailletée et poseuse à la "Clueless" de "Promising Young Woman" peut décontenancer. Le spectateur s’attend de par le sujet pour le moins pesant du film - les réminiscences d’un viol et la vengeance obsessionnelle qui en découle - à évoluer au sein d’une sorte de « Rape & Revenge ». Mais "Promising Young Woman" développe son intrigue à l’opposé, bien loin du sous-genre horrifique comme le fit en son temps un film tel que "La Dernière maison sur la gauche" - et dont il pourrait en creux se réclamer. À contre-courant de cette rhétorique vengeresse et cathartique, le film emprunte ainsi une trajectoire assez inattendue, voire agaçante dans une certaine mesure : celle d’une amourette claquemurée entre comédie éculée et pantomimes calculées.
Cet effet de surprise ou de diffraction du réel émane du fait que rien ou presque parmi les ingrédients du film ne le prédestine tout à fait au suspense ou à une angoisse absolue - ou alors sporadiquement. Et pourtant, le spectateur navigue bien en plein cauchemar éveillé. Seulement, les codes apparaissent délibérément brouillés par la mise en scène et le scénario, tous deux en forme de boutade. Musique acidulée sinon pop, tonalité doucereuse, colorimétrie rassurante et protagonistes a priori sans ambivalence le font bien sûr glisser quelque part du côté de la romance adulescente. Ce qui n’empêche pas toutefois "Promising Young Woman" de distiller en contrebande une critique authentique de la prédation masculine, voire de briller quelquefois à ce sujet. À la manière de la série "You", tout ou partie de l’horreur du film suinte en filigrane. C’est simple : même le viol dont "Promising Young Woman" tire sa trame est absent (ou presque) d’un bout à l’autre, relégué hors-champ. Point ici, de fait, de tragique tangible : Cassandra porte bien trop de masques pour laisser entrevoir l’épouvante qui la hante.
Chaque nuit, elle arpente les bars et boîtes de nuit dans la peau d’une nouvelle proie, délibérément facile. L’enjeu consiste pour elle à exorciser sans relâche son trauma. La protagoniste qu’elle incarne s’apparente à chaque fois à une jeune femme ivre, séduisante et qui représente la cible idéale du violeur. Une fois le chasseur pris dans les fils de sa toile, Cassandra finit par l’humilier - même si retorse, cette humiliation manque pour autant de piquant et d’une vraie prise du risque scénaristique. Car la moralité l’emporte, une fois n’est pas coutume dans un « rape and revenge », sur le sang. En découle quoi qu’il en soit une véritable panoplie de portraits d’une masculinité déviante. Chose parfois étrange, "Promising Young Woman" semble cependant moins épargner les femmes ayant choisi le silence au détriment de la dénonciation que les hommes harceleurs. De quoi possiblement laisser planer un sentiment d’opportunisme voire de complaisance de la part de la réalisatrice Emerald Fennell ? Pas forcément, mais cette distinction maladroite du sort des uns et des autres interpelle, décrédibilise et fragilise en partie le film.
Reste, hormis la performance notable de Carey Mulligan, une qualité indéniable qui permet à "Promising Young Woman" d’exceller en dépit de ses faiblesses d’écriture : sa structure totalement pensée en trompe-l’œil et qui mène le spectateur vers une contrée inconnue. Derrière la trame fleur bleue du film, une partition silencieuse et diabolique se joue en effet et consume tout sur son passage. Un peu comme si toute la mièvrerie apparente du long-métrage servait in fine à remettre en perspective à travers les mots (plutôt que les maux) l’onde de choc inhérente aux viols, ou encore à recouvrir la nécrose d’un vernis acceptable. Afin de rendre intelligible ce mélange de genres, "Promising Young Woman" réserve d’ailleurs un retour de flammes malin et hitchcockien en diable - période "Psychose". Dommage néanmoins que le scénario renonce au dernier moment à céder véritablement au tragique et à l’horreur. Toujours est-il que cette légère frilosité du film n’aura pas manqué de séduire les Oscars 2021, qui lui ont décerné l’Oscar du scénario.
"Promising Young Woman" est disponible en VOD sur Canal +.