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Cinq polars cultes de David Fincher passés au crible

En se demandant sur quoi reposent les polars de Fincher, on n’enfonce pas seulement une porte ouverte pour rouvrir les vannes du suspense. Car, cela revient aussi à s’interroger sur ce qui préside à la fabrique de son cinéma, comprendre (ou pas, car le mystère persiste et tant mieux) comment il se structure. Une chose qui, face à la perfection de tous les plans vaporeux et ultra-maitrisés du metteur en scène, s’avère beaucoup plus volatile et insaisissable qu’on se le figure au départ.

L’affaire tombe sous le sens comme s’il s’agissait d’Hitchcock : rapprocher le cinéma de Fincher du polar et du thriller tient de l’évidence, et ce, tant chacun des films de l’Américain investit le territoire du crime et de la tension – même jusque dans "Alien 3" et "Benjamin Button", à bien y réfléchir, ne serait-ce que via leur atmosphère. Sans aller ici jusqu’à développer cette affirmation, amorçons ce tour d’horizon de l’univers fincherien par quelques constantes de son cinéma : une caméra omnisciente et comme aimantée (façon "Shining") aux mouvements des personnages – stupéfiante de technicité –, des protagonistes maniaques, solitaires et aussi tenaces que Fincher lui-même – qui semble chaque fois se dessiner des doubles –, l’obsession maladive pour les détails, fussent-ils subliminaux et cachés dans les replis baroques du montage, le didactisme (à condition d’ouvrir l’œil). Gros plans, portes ouvertes, changement brusque de valeur de plan pendant un dialogue faussement banal en champ-contrechamp… chez Fincher, la virtuosité se niche dans la subtilité.

Longtemps, on a voulu faire de lui un prétentieux alors qu’il tient finalement du minimaliste. De fait, en dépit d’un nombre conséquent de plans, chez lui la caméra ne bouge que lorsque nécessaire : il n’est ainsi pas question de décorer (au même titre que la musique sert parfois à faire oublier la vacuité d’un film) mais de signifier. Le découpage et les symboles, ou encore la mise en lumière, en disent du reste toujours beaucoup plus long sur l’histoire et les personnages que les mots prononcés ici ou là.

Plutôt que de revenir sur les raisons pour lesquelles chacun des films évoqués ci-dessous tiennent du chef d’œuvre (ou presque), isolons une scène de chacun d’eux à travers laquelle Fincher illustre à la fois son style, son savoir-faire, et donne au spectateur les règles du jeu du film qu’il visionne.

Se7en
Avec "Se7en" (1995), Fincher dit tout de son cinéma dès la première séquence. Somerset (Morgan Freeman), inspecteur en passe de prendre sa retraite, se trouve seul dans son appartement, prêt à partir au travail. Le cinéaste prend minutieusement le temps de filmer en gros plan, entreposés face au personnage, quelques-uns de ses objets fétiches, à commencer par son badge de policier et son couteau. Un peu plus tard, ce même Somerset inspecte une scène de crime, cherchant des indices parmi des photos sur un réfrigérateur. Et son collègue de lui annoncer son impatience de le voir partir, lui qui traque inlassablement les détails et gène les autres. Tout est dit : comme Somerset (et Fincher), le spectateur doit fureter pour saisir les détails et aspérités, à commencer par ce couteau auquel il fallait prêter attention dès les premiers plans, notamment parce que lui et lui seul servira à ouvrir la boîte en carton livrée dans la dernière séquence. Un protagoniste condamné à la solitude et des pièces de puzzle, tout est là.

Panic Room
"Panic Room" (2002) s’apparente à un jeu de chat et de la souris. Réfugiées dans un abri antiatomique, Meg et sa fille Sarah (Jodie Foster et Kristen Stewart) tentent d’échapper à des cambrioleurs. Problème : le magot auquel aspirent les malfrats se trouve précisément dans la pièce de quelques mètres carrés dans laquelle les deux protagonistes sont retranchés. On a souvent reproché à "Panic Room" à la fois ses plans un peu clinquants et son intrigue simpliste. Pourtant, la construction du film, remarquable, est un modèle du genre dont Fincher s’amuse à donner la recette en un plan séquence devenu culte. Ce dernier, en perpétuelle focalisation zéro (point de vue d’un narrateur extérieur à l’intrigue, disons de Fincher en personne), démarre en cadrant le lit dans lequel dort Meg, assommée par le vin, pour se terminer sur la verrière de la vaste demeure, sur le toit. Durant un seul plan de plus de deux minutes, la caméra virevolte et défie toutes les lois de mouvement pour arpenter la maison. Le point de vue est situé à l’intérieur, tandis qu’à l’extérieur, les voleurs – surtout l’un d’entre eux, Burnhaum (Forest Whitaker) – se hisse jusqu’en haut de la demeure pour trouver la faille, s’y immiscer. Deux choses sont à retenir de ce plan virtuose présentant le décor comme une sorte de maison de poupées. La première est qu’il n’est pas improbable que tout ce qui se déroule ne soit qu’un cauchemar, dans la mesure où Meg dort – il s’agirait alors de ses angoisses. La seconde, c’est la présentation du système de "Panic Room". Il suffit en effet encore une fois d’un plan à Fincher pour donner les clés de son jeu de traque, entre plans opératiques et dédale. Très technique et beaucoup moins creux qu’il n’y paraît.

Zodiac
Il y a mille et une raisons pour lesquelles "Zodiac" (2007) s’avère peut-être l’un des plus grands thrillers de tous les temps. Chaque vision, lorsque l’on prend le temps d’analyser, de décortiquer, réserve toujours son lot de surprises. Mais une chose relève de l’obsession partout dans ce film : une quête obsessionnelle et solitaire, sans échappatoire. Piégés par le même dispositif, le journaliste Robert Graysmith et l’enquêteur Dave Toschi sont littéralement coincés dans leur inextricable traque du Zodiac, où le bout du tunnel n’arrive jamais. On pourrait croire à une rédemption, une forme d’humanisation de Graysmith lorsqu’il pénètre pour la première fois dans le bar ou qu’il s’amourache de celle qui va devenir sa compagne, Melanie. Mais cette intimité est sans issue, au même titre que celle de Toschi dont on voit souvent l’épouse se morfondre parce que trop délaissée (la scène où ce dernier est au téléphone et qu’on voit sa femme s’éclipser, mutique, parle d’elle-même). Il y a aussi cette scène, lorsque Toschi se trouve dans sa voiture de fonction dans la nuit et que son collègue lui annonce qu’il se retire de l’enquête, quitte son poste pour de nouveaux horizons. Alors que le collègue rejoint sa femme qui l’attend dans le hall de l’immeuble, Toschi reste seul. Le motif d’isolement est implacable et c’est comme si Fincher donnait littéralement un aperçu de son engagement corps et âme de cinéaste. Et sur ce créneau, la série "Mindhunter" (2017) ne fait pas autre chose.

Millenium
Il n’y a pas de quoi s’offusquer quant au fait que Fincher n’ait pas réalisé en personne la suite de la saga de Stieg Larsson, après son excellent "Millenium  : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes" (2012). Car ce champ libre permet au réalisateur de se renouveler et de continuer à triturer d’autres canevas. Reste que son "Millenium", sous ses faux airs de Fincher mineur, touche lui aussi au génie. Il y a ces bruits au début (lors du dîner chez Martin Vanger) que l’on prend pour un furieux courant d’air (mais en fait c’est autre chose) qui pourraient à eux seuls représenter toute l’intrication, les indices cachés du long-métrage. Mieux : tout le cinéma de Fincher pourrait être contenu dans la fameuse photographie scrutée sans relâches jusqu’aux derniers pixels par Blomkvist et Salander – cette idée d’une quête délirante, celle du spectateur, jusque dans les détails les plus infimes. Mais la synthèse, la clé de Fincher, se niche dans une scène a priori banale mais pourtant géniale : fraîchement arrivé sur l’île d’Hedestad, Blomkvist discute avec Henrik Vanger, dehors dans la neige, de sa mission à venir. Pour une fois, la caméra semble adopter le point de vue interne du journaliste (mais finalement, non, c’est plus subtil et extérieur, comme toujours), puis elle passe en revue toute la topographie du quartier, ses demeures, pendant que Henrik donne un aperçu des inimitiés régnant entre les habitants. Ce terrain de jeu circonscrit par la caméra, à commencer par cette maison perchée sur une petite colline, montre tout et pourtant, alors, le mystère persiste. Difficile de faire plus brillant et minimaliste.

Gone Girl
Pas de schéma, dans "Gone Girl" (2014), pas de petit clin d’œil ni de petite recette pour nous aider à démêler le vrai du faux – comme l’œil caméra du clown dans "The Game" ou le subliminal dans "Fight Club" –, et c’est justement là-dessus que joue le système. La voix off d’Amy Dunne nous donne pourtant plein d’indications, tiraillée entre ses pensées et ce qu’elle écrit dans son journal intime. L’ennui, c’est que leur crédibilité est en jeu, de même que celle de son époux Nick Dunne, abruti fini, ou la capacité des flics à faire correctement leur travail d’enquête, à ne pas biaiser leur analyse. Là-dessus, ajoutons la finesse légendaire des médias type Fox News et l’on se retrouve avec un tissu de manipulations hors norme. Au bout du compte, la disparition d’Amy et la perte de repères de Nick mènent à une impasse. Il n’y a pas de séquence clé qui se dégage dans "Gone Girl", pas de messages (sinon cryptés un peu partout dans les sinuosités du montage) auxquels se rattacher. Or, cette incapacité que l’on a en tant que spectateur à raccorder les choses les unes aux autres, c’est là que se tapit la clé de voûte. En définitive, on peut évidemment voir du Emma Bovary à travers la trajectoire d’Amy, mais on reste pour autant face à un bourbier jusqu’à la dernière scène – identique à la première façon ruban de Möbius. Est-ce là que Fincher atteint toute sa maestria, à tout montrer sans rien dénouer ? Peut-être, et c’est fascinant.

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