Autrice de polars, Agathe Portail vient de nous offrir Fendre l’Azur chez Actes Sud. On lui a posé quelques questions sur ce roman de reconstruction autour d’un pilote de chasse victime d’un accident.
Bepolar : Comment est née l’histoire de ce nouveau roman ?
Agathe Portail : C’est mon fils qui m’a fait découvrir le métier d’effaroucheur de l’armée de l’air. De retour d’un stage de fauconnerie, il m’a expliqué que son formateur était auparavant chargé de dégager les pistes d’atterrissage des avions de chasse à l’aide de ses oiseaux de proie et qu’il avait assisté au retour à la base d’un pilote dont la verrière avait explosé sous l’impact d’une collision avec un oiseau migrateur. Le personnage d’Anthony, mon pilote de l’air, est né ce jour-là. Comme je voulais tenir auprès des lecteurs la promesse de grands espaces que je leur avais faite avec Les Âmes torrentielles, j’ai souhaité investir le deuxième pays "insolite" que j’avais visité dans ma vie : la Mongolie. Le Dieu des écrivains faisant bien les choses, j’ai découvert qu’il existait dans les montagnes de l’Altaï une tradition aiglière. L’aigle serait donc mon fil conducteur. Le dernier personnage à entrer en scène fut Roxane, ma taxidermiste performeuse. A travers elle, j’ai eu envie d’inventer un contexte et un sens à une pratique artistique perturbante à laquelle j’avais été exposée il y a quelques années. Grâce à la fiction, j’ai pu faire se rencontrer trois personnages qui n’auraient jamais dû se connaître, afin de les faire se relever mutuellement.

Bepolar : On suit trois personnages en lutte pour eux-mêmes, Anthony, Roxane et Amaka. Qui sont-ils ? Comment pourriez-vous nous les présenter ?
Agathe Portail : Anthony est pilote de chasse, et c’est non seulement son métier, mais toute son identité. Lorsqu’un accident de vol le prive d’un oeil, il s’effondre. Sur son parcours de reconstruction, il rencontre Cédric, un aiglier, qui l’initie à son art. Anthony trouve dans ce face à face avec l’oiseau de proie un écho puissant à sa trajectoire, à son désir d’altitude et de liberté. Pour se déployer, il doit dépasser cette fascination, créer de l’espace pour la rencontre avec un autre être humain, accepter sa vulnérabilité et devenir capable d’amour.
Roxane ne vit qu’à travers le regard du public devant lequel elle s’expose dans des performances extrêmes. Elle cherche par tous les moyens à se défaire de l’emprise de sa mère et vit une fuite en avant qui trouve son point d’orgue lorsqu’elle accepte l’invitation d’un organisateur de chasses pour oligarques russes. Immature et blessée, elle impose à Anthony une relation amoureuse chaotique, à l’image de l’identité fragmentée qu’elle s’est construite tant bien que mal.
Éleveuse dans les montagnes de l’Altaï, Amaka est une figure maternelle forte et résiliente. Face aux aléas climatiques et aux difficultés qui s’accumulent, elle s’arque boute. C’est une femme aimante, piégée par son désir de tout porter seule. Elle ne se laisse pas le droit de fléchir et elle s’endurcit, jusqu’au point de rupture.
Bepolar : L’humain est au coeur de ce nouveau roman. Dans leur destinées, ces trois personnages se font échos, et font aussi échos à nos vies. Vous vouliez qu’on se sente proche d’eux ?
Agathe Portail : Ces personnages sont radicalement atypiques, il est difficile de se projeter dans leur quotidien, si étranger au nôtre. Cependant, leurs réactions émotionnelles, leur tentation de fuir, leur angoisse face à la vulnérabilité sont les mêmes que les nôtres. Lorsque les personnages se mettent à exister dans ma tête, ils le font avec leur complexité, leurs contradictions, c’est pourquoi je crois on se sent proches d’eux. Je crois que le désir d’aimer et d’être aimé est absolument universel.

Bepolar : Il y a un rapport au sauvage, à la nature notamment pour Amaka et Anthony. Vous vouliez un roman qui explore notre rapport au vivant ?
Agathe Portail : Le rapport à l’animal sauvage est pour moi une source d’inspiration très puissante. A travers mes histoires, peut-être que je cherche à mettre de l’ordre à ma manière dans un espace de grande confusion contemporaine, qui voudrait que l’homme et l’animal soient sur le même plan. Chacun de mes personnages explore un rapport différent à l’animal. Anthony se place dans un face à face amoureux, Roxane dans une forme de domination mais aussi de compétition, Amaka est à la fois dans l’exploitation et dans le respect. J’ai grandi dans une zone très rurale, marquée par l’élevage et la chasse. C’est sans doute la raison pour laquelle je me sens si concernée par notre rapport à l’animal.
Bepolar : C’est un roman très sensoriel. Quelles ont été les réactions des lecteurs et lectrices depuis sa sortie ?
Agathe Portail : J’ai la chance de recevoir un très grand soutien des libraires. C’est celui de mes romans qui recueille le plus de coups de cœur. Certains lecteurs sont heurtés par le personnage de Roxane, elle peut sembler très noire, mais il en faut plus pour perturber les lecteurs de polars et de thrillers ! En général, on me parle du personnage d’Amaka, c’est la chouchoute. Elle est positive, forte, aimante, c’est une héroïne à laquelle les mères, notamment, s’identifient beaucoup.
Bepolar : Qu’est-ce que vous aimeriez qu’on en retienne une fois la dernière page tournée ?
Agathe Portail : Que tous les espoirs sont permis ! J’aime énormément cette citation d’Edmond Rostand dans Chantecler : " C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière". Et que notre quête d’identité et de réalisation individuelle, le graal moderne vendu par le développement personnel, n’est qu’une étape de notre vocation profonde d’être humain : aimer et être aimé.
C’est la justesse et la tension.
Bepolar : Quels sont vos projets ? sur quoi travaillez-vous ?
Agathe Portail : Je suis comme une poule sans tête : trop d’idées, trop d’amorces de romans, trop de doutes sur le sujet que j’avais initialement choisi. Je suis "attrapée" par des thèmes difficiles d’accès et j’attends la fin du mois de septembre pour y voir plus clair. En vrac, je m’intéresse aux forages pétroliers, à l’extraction de tanzanite, au tourisme sexuel féminin, à l’addiction au jeu, bref... il va falloir faire des choix !
Bepolar : Qu’est-ce qui fait un bon polar ?
Agathe Portail : C’est la justesse et la tension. Il faut que les mobiles soient crédibles, les réactions cohérentes (surtout lorsqu’elles sont contradictoires, je crois qu’il n’y a pas de bonne histoire sans conflit intérieur), que l’enquête provoque des remous dans le présent des personnages et que les mécanismes psychologiques à l’œuvre soient universels. . On m’a dit un jour "tout est dans les mythes gréco-romains". Lorsqu’on veut s’affranchir de ces schémas, c’est plat, c’est creux, bref c’est raté. A méditer !
































































































































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