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Rivage Obscur - L’interrogatoire de Patrice Guirao

Bepolar : Rivage Obscur est le dernier volet de votre trilogie noire. Comment on se sent au moment de mettre un point finale a ce qui vous a pris plusieurs années à écrire ?

Patrice Guirao : En écriture, le point final n’est souvent qu’un point de suspension qui ment. Un peu comme quand un artiste annonce qu’il va faire sa dernière tournée. On ne sait jamais si il ne reviendra pas sur scène un peu plus tard. Et bien là c’est pareil. Je ne fais pas mes adieux à Lilith et Maema ni à l’oncle Raymond. Ce serait trop triste. Je leurs dis à plus tard. Rien n’est jamais définitif. Plutôt cyclique. Un cycle s’achève avec cette trilogie un autre peut à n’importe quel moment se déclencher. C’est la meilleure façon de se détacher de toutes ces années de travail sans leurs tourner le dos.

Bepolar : Est-ce que dès le début des trois romans, vous saviez où vous alliez ?

Patrice Guirao : J’avais en tête quelques certitudes, comme le fait que je voulais faire belle place à des personnages féminins. Que ces femmes incarneraient des problématiques sociales et d’identité autant que celles liées à la condition humaine d’une manière générale. A l’instar de Gauguin qu’elles s’interrogent sur le « D’où venons-nous, que sommes-nous, où allons-nous ». Du rapport au temps et à la mort. Qu’elles soient en vibration avec l’époque mais aussi avec le passé. Bref qu’elles soient normales. Et surtout pas des faire-valoir. Ni « des chiens renifleurs » posés là pour résoudre une enquête comme beaucoup de héros de polars. Je savais aussi que mes romans se dérouleraient en Polynésie et que je traiterais, sous couvert de polar, de problématiques propres à cette partie du monde. Dans « Le bûcher de Moorea » la toile de fond et ce que je dénonce, c’est la difficulté de tous ces petits pays posés sur l’océan à défendre leur liberté en prenant comme phare une réalité actuelle qui est la condition des papous dans une guerre qui ne porte pas son nom. De ces hommes qui se battent sans armes contre une colonisation violente et ce dans l’indifférence générale. Certains ont reproché au roman sont côté noir. C’est vrai et je l’ai voulu noir. Aussi violent que les violences que subit le peuple papou dans la répression dont il est l’objet aujourd’hui encore. Dans le second « Les disparus de Pukatapu », j’ai voulu dénoncer, toujours à travers une histoire policière, les dangers que font courir à l’humanité , tous les apprentis sorciers qui jouent avec la science et la vie, qui sont prêts à croiser un blob avec une cellule humaine pour voir ce que ça peut donner, qui engagent l’humanité sans savoir quelles sont les limites à ne pas franchir. J’ai pris appui sur les 193 essais nucléaires qui se sont déroulés en Polynésie. Cette légèreté « des gens de pouvoir » sur la façon qu’ils ont eu et ont encore d’écrire l’Histoire du nucléaire en toute impunité me glace. Des êtres humains paient aujourd’hui encore de leur chair les effets des «  bombinettes » lancées sur le Japon ou « bombes tactiques » comme les appellent les experts en armement pour parler des bombes atomiques que la Russie pourrait utiliser aujourd’hui contre l’OTAN. Qu’en est-il des effets de celles plus conséquentes jetées en l’air dans le ciel Polynésien. Il faut vraiment être un grand visionnaire ou se moquer des gens pour affirmer que tout corps jeté en l’air ne retombe pas !!! C’est pourtant ce qu’ils ont affirmé implicitement en balançant des bombes H à tout va au-dessus de nos têtes ici. Je caricature mais c’est un peu ce qu’on a vendu dans les années soixante aux peuples Polynésiens. La Nouvelle Zélande et l’Australie ne s’y sont pas laissé prendre. Il faut se remémorer le Raimbow Warrior de Green Peace coulé le 10 juillet 1985 par les services secrets français pour mettre en perspective l’importance de cette longue période dont bientôt il n’y aura plus aucun témoin. Dans « Rivage obscur » je dénonce une autre bombe. La bombe à retardement sociale qui est en place en Polynésie et qui risque de « nous péter à la gueule » comme on dit, à tout moment si on ne prend pas en compte la misère qui se propage comme un chancre social, si on ne met pas un terme au recours aux économies secondaires et illégales du marché de la drogue avec toutes les conséquences que nous connaissons, qui plus est dans un monde clos comme celui des iles. Rivage obscur, c’est ce rivage vers lequel la pirogue polynésienne se dirige gouvernée non plus par les navigateurs d’antan qui connaissaient le chemin des étoiles mais par des gens qui naviguent les yeux bandés. Donc (je vais essayer de conclure sinon je vais être un peu long - rires) oui, je savais vers où je voulais conduire mes romans mais je ne savais pas encore comment. Et oui c’était plutôt présomptueux de ma part (rires). Je ne sais pas si je suis arrivé à bon port mais au moins j’aurai essayé.

Bepolar : Et est-ce que le COVID, qui s’est invité dans nos vies, a changé quelque chose ?

Patrice Guirao : Je vais être positif avec cette plaie qu’a été, et continue d’être, le COVID. Il a été, mine de rien, le révélateur au sens de la chimie argentique de l’importance du fait d’être en vie et de la relativité de l’acquis. Du coup il est encore aujourd’hui une sorte de chemin de l’éveil qui, peut-être, permettra de donner le coup de gouvernail nécessaire pour que la pirogue n’aille pas s’échouer sur un rivage obscur. Mais bon, il faut faire vite !

Bepolar : Parlons de votre duo d’enquêtrices, Lilith et Maema. Comment ont-elles évolué ?

Patrice Guirao : Les années sont passées et bien entendu leur approche du monde a évolué. Lilith ne pouvait pas trouver de réponses satisfaisantes à ses interrogations. Personne ne pourrait jamais lui dire qui elle était vraiment. La seule chose qu’elle pouvait tenter de maitriser c’est : qui elle voulait être. Son caractère s’est légèrement modifié, sa révolte contre le monde tel qu’elle l’a reçu s’est un peu apaisée et elle a commencé à comprendre qu’elle était elle-même ce monde-là. Celui-là même qui l’insupportait. Admettre que si il devait être meilleur ce ne serait qu’à travers le changement de chacun et qu’elle devait commencer par changer elle-même. Pour Maema, c’est différent. Elle ne se posait pas de questions existentielles. Elle a toujours été dans le pragmatisme. Cela aurait dû suffire à une sorte de régularité d’analyse et de pérennité de ses points de vue. Malheureusement, cette tumeur qui a fait son nid dans son cerveau et qui est présente en permanence comme un arrêt de mort qui peut être mis en application à tout moment la fait vivre comme si elle passait sa vie dans le couloir de la mort. C’est ce qui la rend si humaine, forte et fragile à la fois. Elles évoluent donc toutes les deux, soumises à des critères de vie qu’elles n’ont pas choisis, mais qui se sont imposés à elles. C’est ce qui nous arrive à tous. Elles n’y échappent pas. Et c’est bien parce que dans ma tête elles sont, bel et bien, de chair d’os et de sang, que je ne peux fermer le livre de leur vie, comme ça , sans leur promettre un jour de revenir leur raconter leur futur.

Bepolar : Avec ce nouveau roman, vous nous emmenez une nouvelle fois en Polynésie et vous pointez de nombreuses problématiques qui se posent là bas, en parallèle de l’intrigue polar. Quel regard vous portez sur l’archipel ?

Patrice Guirao : Comme je le disais précédemment c’est un des ressorts de mes romans : pointer une problématique sans qu’elle ne devienne non plus l’axe unique de lecture du roman. Sans quoi autant écrire des essais ou faire du journalisme. Je veux aussi que le lecteur prenne plaisir à suivre une intrigue et se plonger dans un environnement qu’il ne connait pas forcément. Mais il est certain que mes romans ne sont pas écrits sous le sceau d’une vision exogène. Il ne sont pas la vision d’un auteur qui se déplace quinze jours dans un pays pour y installer ensuite son intrigue. Je vis en Polynésie. J’y ai grandi. Fondé une famille. Et fait une carrière à distance. Donc il est vrai que je me sens concerné par le futur du pays. Mes enfants et petits enfants y vivent et pour eux comme pour tous les autres gamins auxquels nous allons léguer un modèle et un pays, je veux qu’ils soient le plus humains, au sens noble du terme, possible. Il est important que les autorités mettent un terme à l’expansion du monde des drogues dures vers lequel sombre une grande partie de notre jeunesse, qu’on mette fin à l’errance et la misère qui en découle, qu’on réapprenne à regarder le pays non pas comme un acquis, mais comme un compagnon. Quelqu’un dont il faut prendre soin. Pour lequel il faut s’inquiéter. Un pays qu’il faut regarder non pas avec les yeux de la concupiscence mais avec ceux de la fraternité. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment nous pouvons dans un pays de 270 000 habitants et qui reçoit des milliards de subventions ne pas être capables d’éradiquer la misère, je dis bien la misère pas la pauvreté, la violence, les addictions qu’elles soient aux drogues ou à l’alcool, la violence familiale. C’est un pays ou nous ne devrions pas avoir de SDF ni de misère sociale. Pourtant elle se développe de plus en plus. Il faut que nous revisitions notre approche de notre système économique et social et que nous en bâtissions un nouveau. Tout nous le permet : La générosité de la nature autant que la bienveillance qu’elle génère chez tous ceux qui en ont toujours bénéficié. Ce n’est pas un retour aux temps anciens que je préconise mais une approche sociale adaptée au nombre que nous sommes et à ce que la nature nous offre. La nature a inventé ce après quoi l’homme court depuis toujours : le mouvement perpétuel. Elle l’a mis sur pied à travers le cycle de vie. Il suffit de le respecter pour que tout se passe bien. La terre donne et nous cueillons. La mer donne et nous prenons. Et ce à l’infini. Surtout ici où tout pousse sans trop d’effort. Encore faut-il ne pas arracher les racines des plantes ni vider les lagons de toute vie. On ne coupe pas un manguier centenaire pour construire un immeuble à la place. Il faut mettre sur « pause » et reconsidérer notre modèle pour pérenniser le bonheur de vivre dont est porteur ce pays. Sinon on ira droit dans le mur et le pays subira une explosion sociale dont il ne pourra pas se remettre. La violence sera fratricide et les mémoires souillées pour longtemps.

Bepolar : Est-ce que trois romans et j’imagine énormément de documentation a changé quelque chose ?

Patrice Guirao : Si les romans changeaient la face du monde ça se saurait (rires). Mais si la question est de savoir si la réalisation de ces romans a changé quelque chose à ma vision du pays la réponse est : « pas vraiment. »

Bepolar : Est-ce que vous retournerez nous raconter des histoires dans L’archipel ? Quels seront les lieux de vos prochains romans ?

Patrice Guirao : Oui bien sûr. Mon prochain roman « Rien n’est perdu » qui sort en octobre est un roman plutôt Cosy Mystery qui se déroule là encore en Polynésie. Il fait partie de la saga « Al Dorsey le détective de Tahiti. » Rien à voir avec la trilogie de Lilith et Maema. Ni dans le style ni sur le ton. C’est un roman fait pour se détendre et rire. Dans lequel les problématiques sont abordées avec humour et où le héros « Al Dorsey » est un vrai anti héros. Un personnage auquel je me suis beaucoup attaché. Un vrai gentil. Et après « Rien n’est perdu », le suivant : «  Il ne viendra pas », sera pas mal « barré » lui . Le lieu où il se déroule est un lieu que chaque lecteur porte en lui. Je sais, c’est un peu sibyllin. Mais au fur et à mesure de la lecture du roman le lecteur comprendra de quoi il s’agit. Là encore le style sera différent et l’histoire d’un nouveau genre.

Galerie photos

  • Alex-Mot-à-Mots 24 juillet 2022
    Rivage Obscur - L’interrogatoire de Patrice Guirao

    La Maladie a ravagé l’île de Tahiti : depuis la Covid, beaucoup de commerces ont fermés, les valeurs tahitiennes d’entraide se sont perdues.

    Des enfants trainent en ville sans parents, sans repère. Un de ceux-ci tente de voler des objets dans la maison de Maema, mais en faisant du bruit, il se fait repéré.

    Lilith tente de nouer le dialogue avec lui, mais cela est difficile.

    Au fur et à mesure du récit, nous découvrons que le garçon n’a pas de prénom, sa grand-mère l’appelle tout simplement Toi.

    Sa grand-mère qui est atteinte de la lèpre et vit en marge dans la forêt. L’occasion pour l’auteur de nous parler du village des lépreux qui tombe peu à peu à l’abandon.

    J’ai trouvé dommage de ne découvrir qu’à la fin du roman le fin mot de l’histoire, sans avoir de pistes données au lecteur.

    Mais la fin laisse présager une suite, et c’est tant mieux.

    L’image que je retiendrai :

    Celle de Maema qui boit de plus en plus de rhum.

    https://alexmotamots.fr/rivage-obscur-patrice-guirao/

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