Peut-on être et avoir été ? Quatre années se sont écoulées depuis la dernière saison de Black Mirror et l’on sait à quel vitesse galope le progrès technologique. Même les questions qu’il suscite ne vont pas toujours au même train que lui. À cette aune, certains attendent toujours que la célèbre saga imaginée par Charlie Brooker ait une longueur d’avance, comme si nous avions besoin de balises pour anticiper un futur potentiellement anxiogène.

Or, les cinq nouveaux épisodes de la série ne sont pas tant obsédés par la prophétie que par la mise en scène d’archétypes, preuve qu’il existe une constance immémoriale des défauts humains, dont chaque épisode serait une sorte de saisie narquoise. Les Caractères de La Bruyère à l’heure du 2.0 ? Sans doute. Ou alors du Dino Risi remis au goût du jour, avec un brin d’auto-dérision en plus, celui que peuvent se permettre les plus puissants, sans même cacher leurs intentions : ainsi, on verra dans le premier épisode -une vie réelle devenue série embarrassante, multi-diffusée- non pas tant comme un clin d’oeil à The Truman Show que comme la possibilité d’une mainmise des plateformes VOD sur nos dépendances et nos tendances gloutonnes au binge-watching.

La démesure des consommateurs suppose le sacrifice des produits consommés, dans un aller-retour qui estompe les identités. Lesquels sont les plus victimes ? Les admirateurs ? Les admirés ? C’est en somme la question qui irrigue Mazey Day, l’histoire la plus spectaculairement hantée par les revers de la célébrité dont une actrice incarne les excès, avant d’en payer le prix fort : un accident de voiture, une victime sur la route, un délit de fuite. Sait-on finalement qui l’on aime ? Les avatars du très émouvant Mon coeur pour la vie sont hélés par des fans quand leurs matrices sont coincées dans l’espace, devenant elles-mêmes les spectatrices de leurs existences devenues tragiques. Les dangers de l’exposition médiatique, celles qui font dérailler paparazzis, stars et zélateurs anonymes, engendrent une scène qui percute la mémoire d’un horrible fait-divers : l’assassinat de Sharon Tate par des disciples du gourou Charles Manson. En même temps, on sait que nos sociétés du spectacle s’auto-alimentent volontiers au true crime dont Netflix a fait sa marque de fabrique et l’on verra dans l’épisode Loch Henry une allusion tout à fait évidente à cette dilection pour les documentaires horrifiques, nourris par toutes les rumeurs envisageables.

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Et rien au bout d’un long tunnel de malheurs ? Aucune trouée dans un ciel nettement assombri ? Non, juste une tangente qui fait bifurquer un démon de carnaval et une vendeuse de chaussures devenue meurtrière, alors que le monde se consume dans l’apocalypse. Demon 79 est hélas le plus mauvais épisode de cette saison très inégale, qui verse trop souvent dans l’effet facile, voire le grand-guignol le plus grotesque. De Black Mirror on attend nettement mieux.