- Acteurs : Julianne Moore, Gary Oldman, Anthony Mackie, Jennifer Jason Leigh, Amy Adams
Copier-coller bas de gamme des thrillers hitchcockiens paranos à la Fincher, "La Femme à la fenêtre" de Joe Wright a le goût du réchauffé et du nanar prétentieux. Dommage, car les ingrédients étaient pourtant bien au rendez-vous…
Anna Fox, psychologue pour enfants agoraphobe et dépressive, voit son existence houleuse virer au cauchemar lorsqu’elle est témoin d’un crime affreux commis dans la demeure en face de chez elle…
Le manque cruel de nouveaux thrillers dignes de ce nom, et ce toutes plateformes confondues, nous amène à sans arrêt fantasmer monts et merveilles devant le premier film à suspense venu. "La Femme à la fenêtre", dernier né signé Joe Wright ("Orgueil et Préjugés", "Reviens-moi", "Anna Karénine", "Les Heures sombres"...), est de ceux-là. Adaptation du best-seller du même nom de A. J. Finn (pseudo de Dan Mallory), le long-métrage se paie le luxe d’être réalisé par un metteur en scène assez doué et reconnu. Et à première vue, son dispositif à la "Panic Room" / "Fenêtre sur Cour" se déroulant dans un vaste hôtel particulier de New York avait de quoi séduire malgré son parfum de déjà-vu – symptôme d’ailleurs à peu près inévitable dans le giron du thriller depuis Hitchcock, Lumet, Lynch... Il n’en est malheureusement rien et le cinéaste Joe Wright se prend les pieds dans le tapis hitchcockien avec une emphase presque comique tellement elle boursoufle à chaque plan.
Dès les premières minutes, tout va trop vite : pas question de ciseler l’atmosphère ou de sublimer les décors comme chez Fincher, l’intrigue place le spectateur à l’intérieur d’un vieil immeuble cossu de la Grosse Pomme où vit Anna Fox, une psychologue esseulée interprétée par Amy Adams (crédible et sensible, malgré le dénuement général). Rendue agoraphobe par un mystérieux traumatisme refoulé, sa vie est un enfer que seul l’abus de médicaments et d’alcool semble tempérer – quelle inspiration. En proie à la psychose à l’idée même d’entrebâiller sa porte d’entrée, la protagoniste passe son temps à épier l’insipide rue – quoique jonchée de demeures prestigieuses – à travers ses nombreuses fenêtres. Et tiens, justement, quelque chose s’apprête à changer ce jour-là lorsqu’elle tire le rideau pour espionner : le vaste immeuble situé en face accueille ses nouveaux propriétaires, une famille richissime loin d’être aussi unie que le laissent transparaître les apparences. Le père, interprété par Gary Oldman, semble tyrannique, tandis que l’épouse (Julianne Moore) et le fils, ado vulnérable et espiègle, cherchent à prendre leurs distances. Il n’y a pas d’ambiguïté : Anna sera témoin à un moment ou un autre d’un crime ou d’un incident grave en observant l’immeuble d’en face. Tout est trop prévisible.
On pense bien entendu à "Fenêtre sur cour" pour son système de huis-clos voyeuriste, mais également à "Vertigo" s’agissant de la phobie du personnage central. Mais Joe Wright ne fait à cet égard preuve d’aucune subtilité et cite entre autre ouvertement les films d’Hitchcock en faisant d’Annie, la solitaire et indiscrète, une cinéphile invétérée. Aussi, les classiques apparaissent directement à l’écran. De fait, plus possible pour le spectateur de s’adonner à un jeu de piste en vue de ressentir ici ou là les influences citées en creux par le réalisateur, tout étant prémâché d’avance. Et le fait est qu’aucune émotion ne s’en dégage. Ce paramètre mécanique et impersonnel, qui sent le cahier des charges ou une prétention infinie, préside à tous les développements futurs de l’intrigue. Si bien que face à cette absence de nuance ou d’originalité, un ennui abyssal s’installe dès le premier quart d’heure.
Sans être ostentatoire, la production n’en est pas non plus chiche et se traduit par quelques décors assez soignés, dans cet insondable immeuble où la désolation et la tristesse se sont substituées à la vie. Ainsi, la mise en lumière néo-gothique et expressionniste cite ouvertement le Dario Argento de "Suspiria" et l’on s’attend immédiatement, et ce bien avant l’heure, à ce qu’une dynamique de slasher s’intercale prochainement dans l’histoire. Personne ne sait quoi faire de tous ces ingrédients qui s’amoncellent, pas même le metteur en scène, le scénariste ou les acteurs – tous connus pour leur virtuosité et ici incapables d’empêcher l’indifférence. Dès lors, il n’y a plus qu’à attendre impatiemment la fin du spectacle, que tous ces plateaux de théâtre (si loin du brio pourtant déjà pompeux de "Anna Karénine") se vident, et imaginer un autre film dans les mêmes décors qui saurait pour sa part investir les lieux avec réussite. À quand une version suédée à la "Soyez sympas, rembobinez" ? En cela, le film partage quelques éléments du four grandiloquent qu’était le stérile "Pan" (Wright, 2015).
Reste la possibilité, en guise de lot de consolation, de se servir de "La Femme à la fenêtre" comme d’un anti-manuel du thriller, qu’il serait intéressant par exemple de mettre en parallèle avec le cinéma, dense et toujours inattendu, de David Fincher – quant à lui authentique héritier d’Hitchcock et successeur des Pakula et consorts.