Une intégrale des Enquêtes de Mehrlicht vient de paraître aux éditions Le Livre de Poche, une belle occasion de discuter avec Nicolas Lebel de ce personnage si atypique.
Bepolar : Il y a quelques semaines vient de paraître une intégrale des Enquêtes de Mehrlicht, ton personnage principal. Commençons par le commencement, comment est-il né ?
Nicolas Lebel : L’intégrale des enquêtes de Mehrlicht est une proposition du Livre de Poche qui souhaitait réunir les cinq romans en les augmentant de présentations de l’auteur pour les remettre en contexte, de cartes, d’une préface… C’est un bel objet qui est sorti au moment des fêtes de Noël. J’en suis très content. Et fier ! Tous les auteurs n’ont pas la chance de voir un jour une intégrale à leur nom. Pour sortir à la Pléiade, il faut être mort…
Quant à Daniel Mehrlicht, il est un archétype du flic français des années 50 aux années 80. On reconnait en lui des bouts de Bourrel, Maigret, du commissaire Moulin… Certainement du Verhoeven aussi, et du Adamsberg. C’est une sorte de Frankenstein de ces flics de télé, un flic ordinaire, mais décalé, clopeur impénitent, partisan du « c’était mieux avant », perdu dans un monde en mutation qu’il ne comprend plus. Il est né en opposition avac les flics américains bronzés et bodybuildés de l’époque.
Bepolar :Le volume contient 5 romans. Comment Mehrlicht a-t-il évolué au fil des années ? Est-ce que ton regard sur lui a changé ?
Nicolas Lebel : Je n’écrirai pas aujourd’hui comme j’écrivais il y a dix ans, surtout parce qu’on change alors que les « écrits restent » ! Chacun des romans de la série Mehrlicht est une photographie de son époque, un Paris en évolution, un monde en ébullition. J’y parle des guerres, des attentats, des catastrophes qui nous ont percutés, ici et ailleurs. L’auteur de polar se doit d’être poreux au monde qui l’entoure. Et le monde a changé alors que Mehrlicht reste le même. C’est ce décalage qui fait, je crois, le charme de ces enquêtes, mais aussi la difficulté d’en écrire une nouvelle aujourd’hui. Je conserve une tendresse pour ce personnage qui m’a accompagné lors de mes premiers pas dans le monde de l’édition. Mais j’ai écrit six romans depuis le dernier Mehrlicht, avec d’autres personnages (dont Yvonne Chen) qui réclament eux-aussi mon attention !
Bepolar :Comment chaque intrigue commence dans ton esprit ? A quel moment te dis-tu : tiens là, j’ai une idée de roman ?
Nicolas Lebel : « D’où viennent les idées ? » Je crois que c’est la question qu’on pose le plus aux auteurs de fiction ! Les idées ne viennent pas, il faut aller les chercher ! C’est du travail. La presse, la lecture, la culture, les conversations… Tout est matière à fiction. En général, un roman nait quand une idée s’accroche et que d’autres la nourrissent. Et une fois qu’on a le thème, vient la documentation. Ce n’est qu’ensuite que s’invitent les personnages et que la trame se met en place.
Bepolar : Parfois tu as flirté avec le fantastique dans ces enquêtes. Pour quelles raisons ?
Nicolas Lebel : Sans jamais avoir écrit de fantastique, c’est un fil qui est récurrent dans les Mehrlicht. Le roman policier est la littérature de l’élucidation. Face à un mystère, un enquêteur va faire la lumière (Mehrlicht veut dire « plus de lumière » en allemand). Cette avancée dans les ténèbres du crime s’accompagne parfois d’hypothèses improbables. Un monstre de feu échappé du folklore irlandais dans De cauchemar et de feu, un vampire dans Dans la brume écarlate… J’aime amener mon enquêteur et mon lecteur à la frontière du fantastique, sans la franchir parce que sinon tout devient possible, et à la fin, le méchant n’est pas un clown mais une grosse araignée extraterrestre…
Bepolar : Les parutions des cinq tomes se sont étalées sur presque une décennie. Quels ont été les meilleurs moments pour toi, que ce soit l’écriture d’une scène, ou un souvenir de dédicace, ou un prix, ou la sortie d’un des tomes ?
Nicolas Lebel : Les meilleurs moments sont nombreux. Je pourrai en raconter mille ! Des instants d’écriture, de dédicaces, de prix, de salons… Je crois que le plus fort reste le mail qui m’a appris que Hachette voulait publier L’Heure des Fous. La première publication est un événement, évidemment. J’ai beaucoup quand j’écrivais parce que Mehrlicht me faisait marrer. Mais je me souviens en particulier de la mort de Jacques (in Le Jour des morts). Je me suis retrouvé à sangloter devant mon ordi…
Bepolar : A quel moment met-on fin à la carrière d’un personnage ? Y aura-t-il d’autres volumes de Mehrlicht ?
Nicolas Lebel : Mehrlicht est en vacances. Après le dernier opus, il n’était pas très en forme. Il est parti se mettre au vert chez Mado. S’il revient un jour, c’est là qu’on le retrouvera.
C’est l’émotion qui fait un bon polar
Bepolar :Quels sont tes projets ? Sur quoi travailles-tu ?
Nicolas Lebel : L’année 2025 sera riche !
La Ruche, le quatrième opus des Furies sort le 5 mars, l’Hallali en poche le 26 février. La Piste aux étoiles arrivera au Livre de poche à l’automne.
Avec la Ligue de l’Imaginaire, nous travaillons à l’élaboration du prochain recueil de nouvelles qui sortira en fin d’année, un projet caritatif en faveur d’une association qu’il nous reste à déterminer.
Enfin, avec Olivier Norek, nous travaillons en ce moment sur deux films et une série, des projets qu’on ne verra pas avant 2026. En revanche, deux épisodes inédits de la série Tout le Monde Ment seront diffusés en avril sur France2.
Bepolar : Qu’est-ce qui fait un bon polar ?
Nicolas Lebel : C’est l’émotion qui fait un bon polar. Bien sûr, il faut une bonne histoire, des personnages incarnés, surtout le méchant !, une thématique originale, une arène (le lieu où se déroule l’action) peu connue, une écriture enlevée, des rebondissements… Mais je pense que c’est l’alternance des émotions contraires et leur rythme qui font un bon polar, ces moments où on rit, on pleure, on a peur, où notre mâchoire s’ouvre malgré nous. Bien sûr, ça ne coûte rien d’écrire ça. S’il y avait une recette absolue, on l’utiliserait tous ! Heureusement, elle n’existe pas. Mais l’IA prouvera peut-être que je me trompe.
Photo : Astrid di Crollalanza