Tiré du roman de Jackson Budd, A Convict Has Escaped (Un condamné s’est échappé), le méconnu Je suis un fugitifest une des perles du cinéma britannique d’après-guerre, qui soutient la comparaison avec n’importe quel chef-d’œuvre du film noir américain des années 30 et 40.

Le pitch du long métrage est à la fois simple et conforme à l’orthodoxie du genre : floué par une bande de malfrats, emprisonné à cause d’un pillage dans un entrepôt, Clem Morgan, autrefois membre de la Royal Air Force, décide de se venger, après s’être échappé d’une prison où il est incarcéré pour quinze ans. Mais à partir de cette trame classique, le talentueux réalisateur Alberto Cavalcanti construit une histoire qui brouille les repères, évitant tous les pièges du manichéisme le plus grossier : certes, le chef du gang, Nacry, est un vrai méchant aux méthodes brutales. Cela dit, on ne peut pas nier que Clem Morgan est lui-même un personnage mû par des intentions purement vindicatives qui s’accordent à une vision fataliste de l’existence, nourrie par l’expérience traumatisante de la Seconde guerre mondiale.

Ce personnage dense, complexe, est incarné par le magnifique Trevor Horward, alors connu pour sa prestation dans le film de David Lean, Brève rencontre, où il jouait le rôle d’un médecin amoureux. MaisJe suis un fugitif ne se réduit pas à ses protagonistes. Il est peuplé d’une faune de personnages à la fois surprenants et inquiétants, qui semblent illustrer une vision absurde de l’existence : ainsi, Mrs. Fenshaw chez qui Morgan débarque en parfait inconnu fait partie de ces apparitions dont le spectateur se souvient, comme si cette inflexion du récit témoignait d’une bifurcation vers un univers plus incertain, où les codes du polar s’estompent, où le fantastique n’est pas loin de s’immiscer. D’ailleurs, l’étonnant affrontement final au milieu des cercueils anticipe l’ambiance des grandes productions horrifiques de la Hammer, dans les années 50/60. Haletant et pessimiste, Je suis un fugitif est un jalon du film noir.