En 1978, le metteur en scène Alain Corneau décide d’adapter le polar de Jim Thompson Des cliques et des cloaques (A Hell of a Woman) et s’adjoint les services du grand romancier Georges Perec pour transposer le récit dans une banlieue parisienne, tout en gardant la trame du roman.

Série Noire raconte, comme le livre, l’histoire d’un vendeur au porte-à-porte qui tombe amoureux d’une jeune fille que sa tante prostitue. La pauvre victime devient, dans le long métrage, une adolescent mutique, Mona, interprétée par Marie Trintignant, qui trouvait là son premier grand rôle. Face à elle, Patrick Dewaere livre une performance hallucinante, sans doute la meilleure de sa trop courte carrière : tantôt effrayant, grotesque, narquois, le personnage qu’il incarne, Franck Poupart, est avant tout un mythomane qui, par amour, se met à voler de l’argent, avant que le crime ne s’emmêle à travers le meurtre d’un ami marginal (Andréas Tikidès) et de la vieille maquerelle, le même soir.

Suspecté par sa femme d’être l’auteur des deux assassinats, Poupart la tuera, comme si rien ne devait contrarier sa mortelle randonnée vers la richesse. Evidemment, l’imprévisible représentant de commerce se ment à lui-même comme à la jeune Mona à qui il promet le grand voyage, loin des faubourgs glauques auxquels la photographie de Pierre-William Glenn donne une dimension totalement déprimante. Prenant la couleur du décor, les protagonistes de cette sombre histoire constituent des déclinaisons radicales de la misère humaine, personne ne rachetant les fautes commises par les autres : ainsi, le patron de Poupart s’avère un homme chafouin, tout aussi cupide que son employé. Bernard Blier donne à cet homme aussi pleutre qu’immoral une consistance inoubliable.

Plus de quarante ans après sa sortie, Série Noire constitue une pierre angulaire du polar cinématographique français. Construit comme une tragédie célinienne, le film de Corneau demeure une référence du genre.